Vacances, belle-mère et portefeuille vide : l’été où j’ai failli tout quitter

— Tu viens ou pas ? On va être en retard à cause de toi, comme d’habitude !

La voix de ma belle-mère, Monique, résonne dans l’appartement de location à Biarritz. Je serre les poings sur la poignée de ma valise. Mon mari, Julien, me lance un regard suppliant. Je sens déjà la chaleur monter à mes joues, la même que celle du soleil qui tape dehors, mais bien moins agréable.

L’été dernier, j’avais accepté ces vacances en famille pour faire plaisir à Julien. Il disait que ça rapprocherait tout le monde, qu’on allait « profiter du bon air du Sud-Ouest ». Mais dès le premier jour, j’ai compris mon erreur. Monique n’a cessé de critiquer ma façon de faire le café (« Tu mets trop d’eau, c’est pas du jus de chaussette qu’on veut ! »), mes choix de tenues (« Tu ne vas pas à la plage habillée comme ça, si ? »), et même la manière dont je parlais à notre fils, Lucas.

— Tu devrais être plus ferme avec lui. À mon époque, un enfant qui répondait comme ça…

Julien tentait parfois de me défendre, mais il finissait toujours par baisser les yeux devant sa mère. Et moi, je me retrouvais seule contre tous, à avaler mes larmes en silence sur la terrasse pendant que les autres riaient à l’intérieur.

Mais le pire, c’était l’argent. Tout le monde semblait penser que j’étais la banquière officielle du séjour. « Tu peux avancer pour les courses ? On te rembourse après ! » Sauf que le « après » n’est jamais venu. J’ai payé les glaces des enfants, les tickets d’entrée à l’aquarium, même le plein d’essence pour la voiture de Monique. À la fin des deux semaines, mon compte était à découvert et personne n’a eu l’air de s’en soucier.

Je me souviens d’une soirée particulièrement pénible. Nous étions assis autour d’une table en plastique sur la terrasse. Monique racontait pour la énième fois comment elle avait élevé seule ses trois enfants après la mort de son mari. Elle me lançait des regards appuyés chaque fois qu’elle parlait de « sacrifices » et de « femmes fortes ». J’avais envie de hurler que moi aussi je faisais des sacrifices, que moi aussi j’étais fatiguée, mais je me suis tue. Par peur du conflit. Par peur de blesser Julien.

Cette année, il recommence :

— Allez, Chloé… Ce sera différent cette fois. Maman a promis qu’elle ferait des efforts.

Je le regarde, incrédule.

— Elle a promis ? Comme elle avait promis l’an dernier qu’elle ne s’immiscerait pas dans notre couple ?

Il détourne les yeux. Lucas arrive en courant avec son seau et sa pelle.

— Maman ! On va à la plage ?

Je sens la culpabilité m’envahir. Je ne veux pas priver mon fils de vacances avec ses cousins. Mais je ne veux plus m’oublier non plus.

Le matin même, j’ai reçu un message de ma sœur : « Viens passer quelques jours à Bordeaux avec moi. On ira au Cap Ferret avec les enfants. » J’ai hésité toute la journée. Dire non à Julien et à sa famille, c’est risquer des semaines de reproches et de regards noirs. Mais dire oui, c’est risquer de me perdre encore un peu plus.

Je repense à ce soir où j’ai pleuré dans la salle de bains pendant que tout le monde regardait un film dans le salon. J’avais envie de rentrer chez moi, mais je n’osais pas affronter la tempête que cela aurait déclenchée.

— Chloé ? Tu rêves ou quoi ?

La voix sèche de Monique me ramène à la réalité. Je prends une grande inspiration.

— Non, je ne rêve pas. J’y réfléchis justement.

Julien fronce les sourcils.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Je regarde Lucas qui me sourit, insouciant.

— Je veux dire que cette année… j’ai besoin de vacances pour moi aussi. Pas juste pour faire plaisir aux autres.

Un silence s’installe. Monique ouvre la bouche pour répliquer mais Julien l’arrête d’un geste.

— Tu veux aller chez ta sœur ?

Je hoche la tête.

— Oui. J’ai besoin de souffler un peu. De penser à moi.

Monique se lève brusquement.

— C’est ça, pense à toi ! Et nous alors ? Tu crois qu’on n’a pas besoin d’aide avec les enfants ?

Je sens mes mains trembler mais je tiens bon.

— Justement… Je ne suis pas une nounou gratuite ni un distributeur automatique. J’ai besoin qu’on me respecte aussi.

Julien soupire longuement. Lucas me regarde sans comprendre.

— Mais maman… tu viens pas avec nous ?

Je m’accroupis devant lui et caresse ses cheveux.

— Je viendrai te rejoindre quelques jours, mon cœur. Mais maman a besoin d’un peu de temps pour elle aussi.

Monique claque la porte en sortant sur la terrasse. Julien reste silencieux. Je sens le poids du jugement mais aussi une étrange légèreté qui monte en moi.

Ce soir-là, je fais ma valise pour Bordeaux. Pour la première fois depuis longtemps, je choisis ce qui est bon pour moi sans culpabiliser (ou presque). Je sais que les reproches viendront, que Monique racontera à tout le monde combien je suis égoïste. Mais je sais aussi que si je ne prends pas soin de moi maintenant, personne ne le fera à ma place.

Est-ce vraiment égoïste de vouloir un peu de paix ? Où est la limite entre faire plaisir aux autres et se respecter soi-même ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?