« Adieu à mon enfance : Comment la fin de ‘Émilien & ses amis’ a bouleversé ma famille »
« Non, c’est pas possible… Ils peuvent pas faire ça ! » J’ai hurlé dans le salon, la télécommande serrée dans ma main moite. Ma mère a sursauté, renversant un peu de son café sur la table basse. Ma petite sœur, Camille, s’est figée, les yeux rivés sur l’écran où défilait le générique de fin de ‘Émilien & ses amis’. C’était la dernière fois qu’on entendait cette mélodie rassurante, celle qui avait bercé nos mercredis après-midi depuis aussi loin que je me souvienne.
Camille a éclaté en sanglots. « Mais… ils vont revenir, hein ? C’est juste une pause ? » J’ai voulu la rassurer, mais je n’avais pas la force de mentir. J’avais quinze ans, elle en avait huit, et pourtant, à cet instant, on était deux enfants perdus dans le salon de notre appartement à Lyon.
Ma mère a soupiré. « C’est comme ça, les enfants. Les choses changent… Il faut grandir. » Mais moi, je ne voulais pas grandir. Pas comme ça. Pas en perdant Émilien, ce garçon maladroit et courageux qui nous avait appris à affronter nos peurs, à parler du harcèlement à l’école, des disputes entre amis, du divorce des parents…
J’ai claqué la porte de ma chambre. Je me suis allongé sur mon lit, les écouteurs vissés sur les oreilles, mais même la musique ne couvrait pas le vide qui s’installait en moi. J’ai repensé à tous ces mercredis où Camille et moi on se chamaillait pour savoir qui aurait le droit de choisir le goûter devant l’émission. À ces fois où papa rentrait plus tôt du travail juste pour regarder avec nous l’épisode spécial de Noël.
Mais papa n’était plus là depuis deux ans. Il était parti vivre à Bordeaux avec sa nouvelle compagne. Depuis, la maison résonnait d’un silence étrange, seulement brisé par les rires enregistrés d’Émilien et ses amis.
Le soir-même, Camille est venue me rejoindre dans ma chambre. Elle tenait son vieux doudou contre elle. « Tu crois qu’on va oublier Émilien ? »
J’ai hésité. « Non… On n’oublie pas quelqu’un qui nous a aidés à grandir. Même si l’émission s’arrête, il reste dans nos souvenirs. »
Mais au fond de moi, j’avais peur. Peur que tout ce qui nous rattachait encore à notre enfance disparaisse pour de bon.
Les jours suivants ont été étranges. Camille traînait dans la maison comme une âme en peine. Maman essayait de compenser : elle proposait des sorties au parc de la Tête d’Or, des après-midis crêpes ou des jeux de société. Mais rien n’y faisait.
Un soir, alors que je faisais semblant de réviser mes maths, j’ai entendu maman parler au téléphone avec papa. Sa voix tremblait : « Je ne sais plus quoi faire… Ils sont inconsolables depuis la fin de cette émission… Oui, même Lucas… Il fait le grand mais il souffre aussi… »
J’ai eu envie de hurler. Pourquoi fallait-il toujours que tout change ? Pourquoi papa était-il parti ? Pourquoi Émilien devait-il disparaître lui aussi ?
Le week-end suivant, papa est venu nous chercher pour passer deux jours chez lui. Le trajet en train jusqu’à Bordeaux a été silencieux. Camille regardait par la fenêtre sans rien dire.
Chez papa, tout était différent : une nouvelle maison, une nouvelle femme – Claire –, et même un nouveau demi-frère, Hugo, âgé de trois ans. Papa a voulu détendre l’atmosphère : « On pourrait regarder un film tous ensemble ce soir ? »
Camille a secoué la tête : « Je veux Émilien & ses amis… »
Claire a souri gentiment : « On peut peut-être trouver un autre dessin animé ? »
Mais Camille s’est mise à pleurer. Moi aussi j’avais envie de pleurer mais je me suis contenté de serrer les poings.
Le lendemain matin, alors que papa préparait le petit-déjeuner, il m’a pris à part dans la cuisine.
« Lucas… Je sais que c’est difficile pour toi et ta sœur. Mais tu sais… grandir, c’est aussi accepter que certaines choses prennent fin. Ça ne veut pas dire qu’on doit oublier ce qu’on a aimé. »
J’ai haussé les épaules : « C’est facile à dire… Toi aussi t’as tout changé du jour au lendemain. »
Il a baissé les yeux : « Je suis désolé si tu as eu l’impression que je vous abandonnais… Mais je vous aime toujours autant. Même si la vie change autour de nous. »
Je n’ai rien répondu. J’avais trop mal.
De retour à Lyon, j’ai trouvé Camille assise devant la télé éteinte, son doudou serré contre elle.
« Tu crois qu’on pourrait écrire une lettre à Émilien ? Juste pour lui dire merci ? »
J’ai souri malgré moi : « Oui… On pourrait même organiser une petite fête d’adieu pour lui ici, à la maison. Comme un vrai héros mérite qu’on lui dise au revoir. »
Ce samedi-là, on a décoré le salon avec des dessins des personnages de l’émission. Maman a préparé un gâteau au chocolat – celui qu’on mangeait toujours devant les épisodes spéciaux. On a invité deux copains de Camille et mon meilleur ami Thomas.
On a ri, on a pleuré un peu aussi. Mais surtout, on s’est souvenu ensemble de tout ce que ‘Émilien & ses amis’ nous avait appris : l’importance d’écouter les autres, d’accepter ses différences, de parler quand ça ne va pas.
Ce soir-là, en me couchant, j’ai compris que même si l’émission était finie, tout ce qu’elle nous avait transmis restait vivant en nous.
Et si grandir, c’était justement apprendre à dire adieu sans oublier ? Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu l’impression qu’un simple programme télé pouvait changer votre vie ?
