Mariage à l’aveugle : Quand l’amour virtuel bouleverse une vie réelle
— Tu es folle, Camille ! Tu vas vraiment épouser un inconnu ?
La voix de ma sœur, Élodie, résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Dehors, la pluie martèle les carreaux de notre appartement à Lyon. J’ai 29 ans, et dans deux heures, je dois enfiler une robe blanche pour dire « oui » à un homme que je n’ai jamais vu autrement qu’à travers l’écran de mon ordinateur.
Je ferme les yeux. Je revois les nuits blanches passées à discuter avec Julien, ce Parisien drôle et tendre rencontré sur un forum littéraire. Il m’a écrit des poèmes, m’a parlé de ses rêves d’évasion, de ses blessures d’enfance. J’ai ri à ses blagues, pleuré devant sa sincérité. Petit à petit, il est devenu mon refuge, ma lumière dans la grisaille de mes journées d’infirmière à l’hôpital Édouard-Herriot.
Mais aujourd’hui, tout vacille. Ma mère a refusé de venir au mariage. « Ce n’est pas sérieux, Camille. Tu vas te faire avoir », m’a-t-elle lancé au téléphone avant de raccrocher. Mon père ne dit rien, mais son silence est plus lourd que mille reproches.
Élodie soupire, s’approche et pose une main sur mon épaule :
— Tu sais que je t’aime, mais tu prends un risque énorme. Et s’il n’était pas celui que tu crois ?
Je relève la tête, les yeux brillants :
— Je le sens, Élodie. Je le connais… Peut-être même mieux que certains hommes que j’ai fréquentés pendant des années.
Elle secoue la tête et quitte la pièce. Je reste seule avec mes doutes et le tic-tac assourdissant de l’horloge.
À midi pile, je me retrouve devant la mairie du 3e arrondissement. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser. Julien m’attend sur le parvis. Il est plus grand que je ne l’imaginais, les cheveux en bataille, le regard fuyant. Il me sourit timidement.
— Camille ?
Sa voix tremble. Je m’avance, le souffle court.
— Oui… C’est moi.
Nous restons là, quelques secondes suspendus dans le vide. Pas d’étreinte passionnée comme dans les films américains. Juste deux inconnus qui se cherchent du regard.
La cérémonie est brève. Les mots « oui » résonnent dans la salle froide et impersonnelle. Quelques amis sont là, mal à l’aise. Élodie me lance un sourire encourageant. Julien me glisse l’alliance au doigt ; sa main est moite.
À la sortie, il pleut toujours. Nous marchons côte à côte vers le petit restaurant où le déjeuner doit avoir lieu. Le silence s’installe entre nous, pesant.
— Tu veux du vin ? demande-t-il en s’asseyant en face de moi.
Je hoche la tête sans conviction. Il évite mon regard, tripote sa serviette.
— Tu es différente… en vrai, murmure-t-il soudain.
Je sens une boule se former dans ma gorge.
— Toi aussi…
Le repas se déroule dans une gêne palpable. Les conversations virtuelles semblaient si fluides ; ici, chaque mot sonne faux. Je remarque qu’il ne rit pas comme sur Skype, qu’il regarde souvent son téléphone.
Après le dessert, il se lève brusquement :
— Je dois sortir prendre l’air.
Il disparaît sous la pluie battante. Je reste seule devant mon assiette vide, le regard perdu dans le vague.
Les jours suivants sont un enchaînement de malaises et de silences. Nous partageons un appartement loué pour l’occasion ; la nuit, j’entends Julien pleurer dans la salle de bain. Il ne veut pas parler. Moi non plus.
Un soir, il explose :
— Je croyais t’aimer… Mais je ne sais plus qui tu es !
Je fonds en larmes :
— Moi non plus ! On s’est inventé des personnages… On a cru que ça suffirait !
Il claque la porte et ne revient pas avant l’aube.
Ma famille me presse de rentrer à la maison. Ma mère m’accueille sans un mot mais me serre fort contre elle. Élodie me prépare un chocolat chaud et me glisse :
— Tu as eu du courage… Mais parfois, il faut accepter que le rêve ne résiste pas à la réalité.
Je passe des semaines à errer dans Lyon, honteuse et perdue. Les collègues chuchotent dans mon dos ; certains amis coupent les ponts. J’évite les réseaux sociaux où circulent des photos gênantes du mariage raté.
Un soir d’hiver, alors que je regarde les lumières de la ville depuis le pont Lafayette, je reçois un message de Julien :
« Je suis désolé. J’espère que tu trouveras quelqu’un qui saura t’aimer pour de vrai. »
Je souris tristement. Peut-être qu’un jour je rirai de cette histoire absurde… Mais aujourd’hui encore, je me demande :
Peut-on vraiment aimer quelqu’un qu’on n’a jamais touché ? Ou bien sommes-nous tous prisonniers de nos illusions ? Qu’en pensez-vous ?