« Si mon mari veut partir, qu’il parte. Je m’occuperai seule de mon petit-fils » : Le choix d’une mère pour sa fille et sa famille

— Tu ne comprends pas, maman ! Il est parti, il ne reviendra pas !

La voix de Mathilde tremble, elle serre son fils contre elle comme si le monde allait s’écrouler. Je reste figée, la main sur la table de la cuisine, incapable de bouger. Le silence s’installe, pesant, seulement brisé par les sanglots étouffés de ma fille. Je sens la colère monter en moi, mais aussi une peur sourde : comment en sommes-nous arrivées là ?

Je m’appelle Françoise. J’ai 62 ans, et Mathilde est mon unique enfant. Elle est arrivée tard dans ma vie, un cadeau inespéré après des années d’attente et de fausses couches. Depuis sa naissance, j’ai tout donné pour elle. Mon mari, Gérard, et moi avons sacrifié nos vacances, nos sorties, nos rêves parfois, pour qu’elle ne manque de rien. Je me souviens encore de cette nuit à la maternité : allongée sur ce lit d’hôpital, faible mais heureuse, je répétais à Gérard d’acheter les couches les plus douces, les petits vêtements bio… Rien n’était trop beau pour notre fille.

Mais aujourd’hui, c’est elle qui revient chez nous, brisée. Son mari, Julien, a disparu du jour au lendemain. Aucun mot, aucun message. Il a laissé Mathilde seule avec un bébé de six mois et des dettes dont elle n’ose même pas parler. Je vois bien qu’elle se sent coupable, qu’elle pense avoir échoué. Mais comment lui dire que c’est la vie qui est injuste ?

Gérard rentre du jardin. Il voit Mathilde effondrée sur le canapé et comprend tout de suite. Il ne dit rien, serre les dents. Depuis quelque temps déjà, il était distant avec Julien. « Ce garçon n’est pas fiable », répétait-il souvent. Mais jamais je n’aurais cru que cela finirait ainsi.

— On va s’en sortir, souffle-t-il en posant une main sur l’épaule de Mathilde.

Mais je vois bien qu’il doute lui aussi. La retraite n’est pas bien grosse et nous avons encore le crédit de la maison à payer. Pourtant, je sens au fond de moi une force nouvelle. Je ne laisserai pas ma fille sombrer.

Les jours passent. Mathilde ne sort presque plus de sa chambre. Elle allaite son fils, regarde par la fenêtre sans rien voir. Je tente de la secouer :

— Ma chérie, tu dois te battre ! Tu es jeune, belle… Tu peux recommencer !
— Belle ? Tu as vu ma tête ? J’ai l’air d’un fantôme…

Je me retiens de pleurer. Je me souviens d’elle adolescente, pleine de vie et d’ambition. Elle voulait devenir architecte, voyager… Tout cela semble si loin maintenant.

Un soir, alors que je prépare le dîner, Gérard explose :

— Ce n’est pas à nous d’assumer tout ça ! On a déjà donné !

Je le regarde avec colère.

— C’est notre fille ! Tu veux qu’on la laisse tomber ?
— Et nous alors ? On n’a plus le droit de penser à nous ?

Le ton monte. Mathilde entend tout depuis l’escalier. Elle descend en larmes :

— Arrêtez ! Si c’est pour vous déchirer à cause de moi… Je préfère partir !

Je cours la prendre dans mes bras.

— Jamais tu ne partiras d’ici ! Tu es chez toi.

Cette nuit-là, je dors mal. Gérard s’enferme dans le bureau et ne parle plus pendant deux jours. L’ambiance est lourde. Je sens que notre couple vacille aussi sous le poids de cette crise.

Un matin, alors que je donne le biberon à mon petit-fils — il s’appelle Paul — je prends une décision.

— Gérard, si tu veux partir… Pars. Moi je reste ici avec Mathilde et Paul.

Il me regarde comme si je venais de le gifler.

— Tu me mets dehors ?
— Non… Mais je ne peux pas abandonner notre fille. Si tu ne le supportes plus, fais ce que tu veux.

Il claque la porte et part marcher des heures dans la forêt derrière la maison.

Les semaines passent. Gérard revient toujours dormir mais il parle peu. Mathilde commence doucement à reprendre goût à la vie. Je l’emmène chez le coiffeur, on va au marché ensemble. Un jour elle me dit :

— Maman… Tu crois que je pourrai redevenir celle que j’étais ?
— Tu seras encore plus forte qu’avant.

Elle sourit timidement.

Un soir d’été, alors que Paul dort enfin sans pleurer, Mathilde me confie :

— J’ai peur de ne jamais retrouver l’amour… De rester seule toute ma vie.
— L’amour viendra quand tu seras prête à t’aimer toi-même.

Je repense à toutes ces années où j’ai voulu la protéger du monde entier… Peut-être ai-je trop fait ? Peut-être ai-je oublié que les enfants doivent aussi apprendre à tomber pour mieux se relever ?

Gérard finit par accepter la situation. Il joue avec Paul dans le jardin et retrouve un peu le sourire. Nous réapprenons à vivre ensemble, autrement.

Mais parfois, la nuit, je me demande : ai-je eu raison de tout sacrifier pour ma fille ? Est-ce cela être mère en France aujourd’hui ? Jusqu’où doit-on aller pour ceux qu’on aime ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?