« Tu ne penses à moi que quand tu as besoin d’une baby-sitter » : Confession d’une mère oubliée

« Maman, tu pourrais venir garder Camille demain soir ? J’ai un dîner important avec Claire. »

La voix de Thomas résonne dans le combiné, sèche, presque mécanique. Il ne me demande pas comment je vais. Il ne me demande jamais comment je vais. Je regarde la pluie qui frappe la fenêtre de mon petit appartement à Tours, et je sens une boule se former dans ma gorge. Encore une fois, je ne suis qu’une solution de secours. Une baby-sitter gratuite. Je serre le téléphone plus fort, comme si cela pouvait combler le vide qui s’est installé entre nous depuis des années.

« Bien sûr, Thomas », je réponds, la voix tremblante. Il ne remarque rien. Il ne remarque jamais rien.

Je raccroche et m’effondre sur le canapé. Les souvenirs affluent : les rires dans le jardin quand il était petit, les genoux écorchés, les histoires du soir. Où est passé ce temps ? Où est passé mon fils ?

Le divorce avec Jean-Luc a tout brisé. Thomas avait douze ans. Il a choisi de vivre avec son père à Nantes, trop loin pour des visites spontanées. Je me suis retrouvée seule, à reconstruire ma vie, à chercher du travail, à survivre. J’ai tout fait pour garder le contact : des lettres, des appels, des cadeaux pour chaque anniversaire. Mais petit à petit, il s’est éloigné. Il a grandi sans moi.

Quand il a rencontré Claire, j’ai cru que tout allait changer. Elle était douce, attentive, elle m’invitait parfois à déjeuner le dimanche. Mais après la naissance de Camille, tout s’est refermé. Ils étaient débordés, fatigués, et moi… moi j’étais là pour dépanner. Juste pour dépanner.

Le lendemain soir, je prends le train pour Nantes. Dans le wagon presque vide, je regarde mon reflet dans la vitre : des cheveux gris, des rides autour des yeux. Je me demande si Thomas me voit encore comme sa mère ou juste comme une vieille femme utile.

À la gare, il m’attend à peine cinq minutes avant de filer en voiture. « Merci maman, t’es un amour », lance-t-il en déposant Camille dans mes bras. La petite me serre fort contre elle. Elle sent la vanille et le savon. Elle n’a rien demandé, elle.

La soirée passe doucement. Camille veut que je lui lise « Le Petit Prince ». Sa petite voix me touche en plein cœur : « Mamie, pourquoi tu ne viens pas plus souvent ? »

Je retiens mes larmes. Comment lui expliquer ? Comment dire à une enfant que son papa ne veut plus vraiment de moi dans sa vie ?

Quand Thomas et Claire rentrent tard dans la nuit, ils sont fatigués mais souriants. « Merci maman », dit Claire en m’embrassant sur la joue. Thomas évite mon regard.

Le lendemain matin, alors que je prépare du café dans leur cuisine trop moderne pour moi, Thomas entre sans bruit.

— Tu vas repartir aujourd’hui ?

— Oui… Je ne veux pas déranger.

Il soupire, s’appuie contre le plan de travail.

— Maman… Je sais que ça n’a pas été facile pour toi après le divorce. Mais tu sais… Papa était là. Et puis…

Il s’arrête, cherche ses mots.

— Et puis quoi ?

— Je ne sais pas… On n’a jamais vraiment parlé de tout ça.

Je sens la colère monter.

— Tu ne m’as jamais laissé la place ! Tu m’appelles seulement quand tu as besoin de moi ! Tu crois que ça ne me fait rien ?

Il baisse les yeux.

— Je suis désolé… C’est juste… compliqué.

Je voudrais hurler que ce n’est pas compliqué d’aimer sa mère. Que ce n’est pas compliqué de prendre des nouvelles autrement que pour demander un service.

Mais je me tais. Je prends ma valise et j’embrasse Camille une dernière fois.

Dans le train du retour, je regarde défiler les paysages gris et mouillés de la Loire. Je pense à toutes ces années perdues, à tout ce que j’aurais voulu dire à Thomas. À tout ce que je n’ai pas su faire.

Est-ce que c’est ça, être mère en France aujourd’hui ? Être reléguée au rang d’auxiliaire familiale dès que les enfants deviennent adultes ? Est-ce que j’ai raté quelque chose ? Ou est-ce simplement la vie qui nous éloigne les uns des autres ?

Je repense à Camille qui m’a serrée fort : « Mamie, pourquoi tu ne viens pas plus souvent ? »

Peut-être qu’il n’est pas trop tard pour reconstruire quelque chose… Mais comment faire quand on se sent invisible ?

Et vous, avez-vous déjà eu l’impression d’être oublié par ceux que vous aimez le plus ? Est-ce qu’on peut vraiment réparer les liens brisés par le temps et les non-dits ?