Le jour où j’ai donné la vie et perdu l’amour de ma vie : mon histoire entre naissance et deuil

« Non, ce n’est pas possible… Paul, réveille-toi ! » Ma voix résonne dans la chambre blanche de l’hôpital, déchirée par la panique. Je serre la main froide de mon mari, allongé là, inerte, alors que quelques mètres plus loin, dans une autre pièce, notre fille vient tout juste de pousser son premier cri. Je suis partagée entre deux mondes : celui de la vie qui commence et celui de la mort qui m’arrache tout.

Tout a commencé ce matin-là, à l’aube, quand les contractions m’ont réveillée. Paul s’est levé d’un bond, paniqué mais heureux. « On y va, Camille ? Tu es prête ? » Il a attrapé la valise préparée depuis des semaines, a vérifié trois fois que tout était là. Dans la voiture, il n’arrêtait pas de plaisanter pour me détendre. « Tu crois qu’elle aura mon nez ? » Je riais, malgré la douleur. On était une équipe, soudée contre le monde.

À l’hôpital de Tours, tout est allé très vite. Les sages-femmes couraient, Paul me tenait la main. Mais soudain, il a pâli. « Je vais prendre l’air deux minutes… » Il est sorti du bloc. Je ne savais pas encore que ce serait la dernière fois que je verrais ses yeux pétiller.

L’accouchement a été difficile. J’ai hurlé, pleuré, puis j’ai entendu ce cri minuscule : ma fille, Lucie. On me l’a posée sur la poitrine. J’ai pleuré de joie, de soulagement. Mais très vite, une infirmière est entrée précipitamment. Son visage était grave. « Madame Martin… Il faut que vous veniez… »

Dans le couloir, ma belle-mère, Françoise, sanglotait. Mon beau-père fixait le sol. « Paul a fait un malaise… On n’a rien pu faire… » Le monde s’est effondré sous mes pieds. J’ai voulu hurler, courir vers lui, mais mon corps était trop faible.

Les jours suivants ont été un cauchemar éveillé. Entre les visites à la maternité et les préparatifs de l’enterrement, je n’avais plus de force. Ma mère voulait que je rentre chez elle avec Lucie. Françoise insistait pour que je reste dans la maison familiale à Amboise : « Paul aurait voulu que tu sois entourée… » Mais je ne voulais ni l’une ni l’autre. Je voulais Paul.

Les tensions ont éclaté dès le lendemain des obsèques. À table, Françoise a posé sa main sur celle de Lucie : « Elle doit porter le prénom de sa grand-mère paternelle. C’est la tradition chez nous. » Ma mère a répliqué sèchement : « Camille a déjà choisi le prénom avec Paul ! » Les regards se sont enflammés. Moi, je n’arrivais même plus à parler.

Les jours passaient dans une brume épaisse. Je me réveillais en sursaut la nuit, persuadée d’entendre Paul rentrer du travail. Je regardais Lucie dormir et je me demandais comment lui parler de son père un jour. Un soir, alors que je berçais Lucie dans le salon silencieux, Françoise est entrée sans frapper.

— Tu ne peux pas rester seule ici avec un bébé ! Tu es trop jeune pour tout porter sur tes épaules.

— Je ne suis pas seule… J’ai Lucie.

— Ce n’est pas suffisant ! Tu dois penser à ton avenir…

Je n’ai rien répondu. J’avais envie de crier que mon avenir s’était envolé avec Paul.

Quelques semaines plus tard, j’ai reçu une lettre du notaire : Paul n’avait rien prévu pour moi dans son testament – il pensait avoir le temps… La maison appartenait à ses parents. Françoise m’a proposé d’y rester « le temps de me retourner », mais chaque pièce me rappelait Paul. J’étouffais.

Un soir d’orage, alors que Lucie pleurait sans s’arrêter et que je n’en pouvais plus, j’ai craqué devant ma mère :

— Je ne suis pas capable d’être mère toute seule…

Elle m’a serrée fort contre elle :

— Tu es plus forte que tu ne le crois, Camille.

Mais je ne le croyais pas. Les disputes avec Françoise devenaient quotidiennes : sur l’éducation de Lucie, sur mes choix de vie, sur tout. Elle voulait organiser chaque détail des obsèques-anniversaire de Paul ; moi je voulais juste du silence et du temps pour pleurer.

Un matin, j’ai pris une décision folle : partir avec Lucie à Paris chez ma cousine Sophie. J’avais besoin d’air, d’anonymat, d’un nouveau départ loin des regards et des jugements. Françoise m’a traitée d’égoïste :

— Tu veux effacer Paul ? Tu veux qu’on oublie qu’il a existé ?

J’ai répondu en larmes :

— Non… Mais je veux vivre pour Lucie et pour moi.

À Paris, tout était différent. Les rues étaient bruyantes mais personne ne connaissait mon histoire. J’ai trouvé un petit boulot dans une librairie du 11ème arrondissement ; Lucie allait à la crèche municipale. Petit à petit, j’ai réappris à sourire en voyant ses premiers pas, ses premiers mots.

Mais chaque anniversaire de Lucie est aussi celui où j’ai perdu Paul. Chaque bougie soufflée me rappelle ce double vertige : joie immense et douleur sans fond.

Aujourd’hui encore, je me demande : peut-on vraiment célébrer la vie quand on porte un tel deuil ? Peut-on aimer assez fort pour combler l’absence ? Et vous… comment auriez-vous trouvé la force d’avancer ?