« Partageons l’addition, s’il te plaît » – Mon histoire de rendez-vous, de signaux d’alerte et d’amour-propre

« On partage l’addition, s’il te plaît ? »

Le couteau s’est arrêté net dans ma main, suspendu au-dessus du fondant au chocolat que je venais à peine d’entamer. Je l’ai regardé, Guillaume, assis en face de moi, le regard fuyant, triturant nerveusement la serviette en papier. Ce n’était pas tant la question qui m’avait frappée, mais la façon dont il l’avait posée, sans chaleur, sans sourire, comme une formalité gênante à expédier.

Je me suis revue, quelques heures plus tôt, devant le miroir de ma petite salle de bain parisienne, à hésiter sur la robe à enfiler. J’avais rencontré Guillaume sur une application, et nos échanges avaient été légers, drôles, prometteurs. J’avais envie d’y croire, de croire que ce soir, peut-être, serait différent des autres. Que je ne rentrerais pas chez moi avec ce goût amer d’avoir perdu mon temps.

Le restaurant était charmant, une brasserie du 11e, bruyante et vivante, avec des serveurs qui plaisantaient en déposant les assiettes. Guillaume avait choisi le lieu, et j’avais apprécié l’attention. Au début, tout semblait couler de source : il riait à mes blagues, me parlait de sa passion pour la photo, de ses voyages en Bretagne. Mais peu à peu, j’ai senti une distance, un voile qui s’installait. Il consultait son téléphone, répondait par monosyllabes, et j’ai commencé à douter de moi, à me demander si j’avais dit quelque chose de travers.

Puis est venu le moment de l’addition. Je n’attendais pas qu’il paie tout, non. Mais j’espérais un geste, une intention, un sourire complice. Au lieu de ça, il a sorti son portefeuille comme on sort un mouchoir, sans me regarder, et a lâché cette phrase : « On partage l’addition, s’il te plaît ? »

J’ai senti la colère monter, mêlée à une tristesse sourde. Pas à cause de l’argent, mais parce que tout, dans son attitude, criait l’indifférence. Je me suis entendue répondre, d’une voix plus froide que je ne l’aurais voulu :

— Bien sûr. C’est normal.

Le silence s’est installé, pesant. J’ai repensé à mes parents, à leurs disputes sur l’argent, à ma mère qui me répétait : « Ne laisse jamais un homme te faire sentir que tu n’as pas de valeur. » J’ai repensé à mes amies, à nos discussions sur les « red flags », ces petits signaux d’alerte qu’on choisit trop souvent d’ignorer.

Guillaume a tenté de détendre l’atmosphère :

— Tu sais, je trouve ça plus juste comme ça. On est modernes, non ?

J’ai forcé un sourire, mais au fond, je savais que ce n’était pas une question de modernité. C’était une question de respect, d’attention à l’autre. J’aurais aimé qu’il me regarde, qu’il me demande si la soirée m’avait plu, qu’il propose de marcher un peu avant de rentrer. Mais il s’est levé, a remis sa veste, et m’a lancé :

— Tu rentres comment ? Je peux t’appeler un Uber si tu veux…

J’ai décliné poliment. J’avais besoin de marcher, de respirer l’air frais de la nuit, de digérer ce qui venait de se passer. Sur le trottoir, j’ai appelé mon amie Camille.

— Alors, raconte ! Il était comment ?

J’ai tout déballé, la voix tremblante :

— Je crois que je me suis encore trompée. Il était gentil, mais… tu sais, il y a eu ce moment où il a demandé à partager l’addition, et j’ai eu l’impression d’être transparente.

Camille a soupiré :

— Tu mérites mieux, tu le sais, hein ? Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de considération. Il aurait pu proposer, ou au moins en parler avec toi. Tu n’es pas là pour faire la comptable.

Ses mots m’ont réconfortée, mais aussi piquée. Pourquoi acceptais-je si facilement ces petits manques de respect ? Pourquoi avais-je si peur de paraître exigeante ?

En rentrant chez moi, j’ai repensé à toutes ces fois où j’avais minimisé mes besoins, où j’avais accepté des rendez-vous tièdes, des silences gênants, des gestes maladroits. J’ai repensé à la première fois où j’avais osé dire non, à la fierté mêlée de peur que j’avais ressentie.

Le lendemain, Guillaume m’a envoyé un message :

« Merci pour la soirée. On remet ça quand tu veux. »

J’ai hésité. J’aurais pu répondre, faire comme si de rien n’était, accepter un deuxième rendez-vous par peur de la solitude. Mais j’ai pris une grande inspiration, et j’ai écrit :

« Merci à toi. Mais je ne pense pas qu’on cherche la même chose. Bonne continuation. »

J’ai posé mon téléphone, le cœur battant. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie fière de moi. J’avais posé mes limites, j’avais choisi de me respecter.

Ce soir-là, en regardant Paris s’endormir depuis ma fenêtre, je me suis demandé : pourquoi est-ce si difficile de s’écouter, d’oser dire ce qu’on attend vraiment ? Pourquoi avons-nous si peur d’être seuls, alors que le vrai manque, c’est celui du respect de soi ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce que j’ai eu raison de dire non ?