J’étais la reine de la fête… aujourd’hui, personne ne pense à mon anniversaire

« Tu sais, maman, on ne pourra pas venir ce week-end. Paul a un match et Camille révise son bac blanc. » La voix de ma fille, Claire, résonne dans le combiné, hésitante, presque coupable. Je serre le téléphone contre mon oreille, tentant de masquer la déception qui me serre la gorge. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Il est dix heures du matin et je n’ai reçu qu’un SMS automatique de ma mutuelle.

Il y a encore cinq ans, mon appartement du centre de Lyon débordait de vie chaque 14 mars. Les rires fusaient, les verres tintaient, les voisins passaient « juste pour un verre » et restaient jusqu’à minuit. J’étais l’organisatrice en chef des dîners, la confidente, la collègue qui n’oubliait jamais un anniversaire. J’adorais ça : sentir que j’existais dans le regard des autres.

Mais aujourd’hui, le silence est assourdissant. Je me lève, j’ouvre les volets sur une ville grise et pluvieuse. Mon regard tombe sur le bouquet fané offert par mon fils il y a trois semaines. Je souris tristement. Où sont-ils tous passés ? Les amis d’enfance, les collègues de la mairie, les voisines avec qui je partageais des cafés sur le balcon ? Est-ce moi qui ai changé ou eux qui se sont éloignés ?

Je repense à cette dispute avec Sophie l’an dernier. « Tu es toujours dans le contrôle, Hélène. On ne peut jamais rien faire sans que tu organises tout à ta façon ! » Elle avait claqué la porte après une soirée trop arrosée. Depuis, plus un mot. Avec Jean-Luc, mon ex-mari, c’est le silence radio depuis qu’il a refait sa vie avec une femme plus jeune. Même mes collègues semblent m’éviter depuis mon départ à la retraite anticipée.

Je me surprends à faire défiler les contacts sur mon téléphone. Qui appeler ? Qui oser déranger un mardi matin pour lui rappeler que j’existe encore ? Je m’arrête sur le nom de Marie, ma meilleure amie du lycée. On s’était promis de ne jamais se perdre de vue… Mais la vie a filé, les enfants sont arrivés, puis les divorces, les déménagements. Je compose son numéro. Boîte vocale.

Je laisse un message hésitant : « Coucou Marie… c’est Hélène… Je voulais juste te dire que tu me manques. Aujourd’hui c’est mon anniversaire… Voilà… J’espère que tu vas bien. » Ma voix tremble. Je raccroche vite, honteuse de ma faiblesse.

Midi approche. Je décide de sortir acheter une baguette à la boulangerie du coin, histoire de croiser un visage humain. La boulangère me salue d’un sourire distrait : « Comme d’habitude, Madame Martin ? » Je hoche la tête. Personne ne remarque mes yeux rougis.

Sur le chemin du retour, je croise Monsieur Dupuis, mon voisin du troisième. Il promène son chien sous la pluie. « Bonjour Hélène ! Vous allez bien ? » Je force un sourire. « Oui oui… et vous ? » Il ne s’arrête pas.

De retour chez moi, je m’effondre sur le canapé. Les souvenirs affluent : les pique-niques au parc de la Tête d’Or avec mes enfants petits, les soirées crêpes improvisées avec les voisins, les longues discussions au téléphone avec ma sœur Anne avant qu’elle ne parte vivre à Bordeaux…

Je me demande quand tout a basculé. Est-ce quand j’ai pris ma retraite et que mes journées se sont vidées de sens ? Ou quand mes enfants ont quitté la maison pour construire leur propre vie ? Peut-être est-ce moi qui ai trop attendu des autres…

Vers 16h, le téléphone sonne enfin. C’est ma petite-fille, Juliette, 8 ans. « Mamie ! Joyeux anniversaire ! Tu me racontes encore l’histoire du chat qui voulait devenir un tigre ? » Mon cœur se réchauffe un instant. Sa voix cristalline me rappelle que tout n’est pas perdu.

Mais une fois l’appel terminé, le vide revient. Je regarde par la fenêtre les gouttes qui ruissellent sur la vitre. Je pense à toutes ces personnes âgées que je croisais autrefois dans la rue et que je trouvais tristes… Suis-je devenue l’une d’elles sans m’en rendre compte ?

Le soir tombe. J’allume une bougie sur un petit gâteau acheté pour moi-même. Je ferme les yeux et souffle en silence.

« Bon anniversaire Hélène… Tu es encore là… même si plus personne ne semble s’en souvenir. »

Je me demande alors : est-ce la société qui nous oublie ou sommes-nous responsables de notre propre isolement ? À quel moment cesse-t-on d’exister aux yeux des autres ? Et vous… avez-vous déjà ressenti ce vide autour de vous, ce silence assourdissant qui remplace les rires d’autrefois ?