« J’ai cru en notre amitié… jusqu’à ce que j’entende la vérité »

« Tu sais, pour moi, elle a toujours été là parce que c’était pratique. »

Ces mots, je les ai entendus sans qu’on sache que j’étais là. Je me suis figée derrière la porte entrouverte du salon, mon cœur battant si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser. Claire, ma meilleure amie depuis le lycée, riait avec sa cousine Élodie, un verre de vin à la main. Je n’étais pas censée rentrer si tôt ce soir-là. Mais la pluie battante sur Paris m’avait poussée à écourter mon rendez-vous professionnel. J’avais hâte de retrouver Claire, de lui raconter ma journée, de rire ensemble comme toujours.

Mais là, dans ce salon où nous avions partagé tant de souvenirs, je n’étais plus qu’une ombre. « Elle est gentille, Lucie, mais franchement… elle me facilite la vie. Toujours dispo, toujours prête à écouter mes problèmes. »

Je me suis sentie trahie, humiliée. J’ai reculé doucement, refermant la porte sans bruit. Je suis restée dans le couloir, incapable de bouger. Mon téléphone vibrait dans ma poche : un message de ma mère qui me demandait si je venais dîner dimanche. J’avais envie de tout envoyer valser.

Depuis des années, Claire et moi étions inséparables. Nous nous étions rencontrées au lycée Victor Hugo à Nantes. Elle était la fille extravertie qui attirait tous les regards ; moi, la discrète qui préférait les livres aux fêtes. Pourtant, une complicité immédiate était née entre nous. Nous avions traversé ensemble les galères du bac, les premiers amours déçus, les déménagements à Paris pour les études. On se retrouvait dans les petits cafés du 11e arrondissement, on refaisait le monde sur les quais de Seine à minuit.

Je croyais que notre amitié était indestructible. Que rien ne pourrait jamais nous séparer.

Mais ce soir-là, tout s’est fissuré.

Je suis sortie dans la rue sans bruit, la pluie me fouettant le visage. J’ai marché longtemps, sans but, jusqu’à ce que mes chaussures soient trempées et que mes mains tremblent de froid. Je me suis assise sur un banc sous un lampadaire, regardant les passants pressés sous leurs parapluies colorés.

Pourquoi n’avais-je rien vu ? Était-ce possible d’être aussi aveugle ?

Le lendemain matin, Claire m’a appelée comme si de rien n’était :

— Lucie ! Tu viens au brunch ? J’ai trop envie de te raconter ce qui s’est passé avec Thomas !

Sa voix enjouée m’a donné envie de hurler. Mais j’ai répondu calmement :

— Non, pas aujourd’hui.

Elle a insisté :

— Oh allez ! T’es ma meilleure amie !

Ce mot m’a brûlée comme une gifle.

J’ai raccroché sans un mot de plus.

Les jours suivants ont été un supplice. Je repassais en boucle cette scène dans ma tête. J’essayais de me souvenir de tous ces moments où j’avais été là pour elle : quand son père est tombé malade, quand elle a perdu son boulot chez Gallimard, quand elle s’est séparée d’Antoine. J’avais tout donné pour elle. Et moi ? Avait-elle seulement remarqué mes propres blessures ?

J’ai repensé à cette fois où mon frère avait eu un accident de voiture. J’étais effondrée, j’avais besoin d’elle… mais elle était partie en week-end à Deauville avec ses collègues et n’avait même pas répondu à mes messages.

Je n’avais pas voulu voir.

Un soir, j’ai décidé d’affronter Claire. Je l’ai invitée chez moi. Elle est arrivée avec une bouteille de vin et son sourire éclatant.

— Ça va ? T’as l’air fatiguée…

J’ai pris une grande inspiration :

— Claire… Je t’ai entendue l’autre soir avec Élodie.

Son visage s’est figé.

— Qu’est-ce que tu as entendu ?

— Que je n’étais qu’un « choix pratique ». Que tu restais avec moi parce que je te facilitais la vie.

Un silence glacial s’est installé entre nous.

— Lucie… Je… Je ne voulais pas dire ça comme ça…

— Mais tu l’as dit.

Elle a baissé les yeux. Pour la première fois depuis des années, je l’ai vue hésitante, vulnérable.

— Tu sais… Je ne suis pas très douée pour exprimer ce que je ressens. C’est vrai que tu as toujours été là pour moi… Peut-être que je t’ai prise pour acquise.

J’ai senti les larmes monter.

— Tu sais ce que ça fait d’être « pratique » pour quelqu’un ? D’être celle qu’on appelle quand on a besoin mais qu’on oublie quand tout va bien ?

Elle a voulu me prendre la main mais je l’ai repoussée doucement.

— J’ai besoin de temps, Claire. Pour comprendre si notre amitié vaut encore quelque chose pour moi.

Elle est partie sans un mot de plus.

Les semaines suivantes ont été étranges. J’ai ressenti un vide immense mais aussi une forme de soulagement. J’ai commencé à sortir seule, à aller au cinéma sans personne, à m’inscrire à un atelier d’écriture dans le 5e arrondissement. J’ai rencontré d’autres femmes qui avaient vécu des histoires similaires : Julie qui avait coupé les ponts avec sa sœur toxique ; Amandine qui avait quitté son groupe d’amies après des années de non-dits.

Peu à peu, j’ai compris que je n’étais pas seule.

Un dimanche matin, alors que je buvais mon café sur le balcon en regardant Paris s’éveiller sous la brume, j’ai reçu un message de Claire :

« Je suis désolée pour tout. Tu me manques. »

J’ai relu ces mots plusieurs fois sans savoir quoi répondre.

Peut-on vraiment reconstruire une amitié après une telle trahison ? Ou faut-il accepter que certaines personnes ne sont faites que pour traverser notre vie un temps ?

Et vous… avez-vous déjà eu le cœur brisé par une amitié ?