J’ai accueilli mon amie après son divorce… et j’ai failli tout perdre chez moi

— Tu pourrais au moins frapper avant d’entrer dans ma chambre !

Ma voix tremblait, mais je n’arrivais plus à la retenir. Camille, debout sur le seuil, me regardait avec ses grands yeux fatigués, un mug de thé à la main. Depuis qu’elle avait débarqué chez moi, valise à la main et cœur en miettes, j’avais tout fait pour qu’elle se sente chez elle. Mais ce soir-là, alors que je retrouvais encore une fois mes affaires déplacées, mes horaires chamboulés, et ma cuisine envahie par ses tisanes et ses livres de développement personnel, j’ai senti la colère monter.

Camille et moi, c’était trente ans d’amitié. On s’était connues au lycée à Lyon, on avait partagé nos premiers chagrins d’amour, nos rêves de liberté, nos soirées à refaire le monde sur les quais du Rhône. Même quand elle était partie vivre à Bordeaux après son mariage, on ne s’était jamais perdues de vue. J’étais la marraine de sa fille, elle était la confidente de mes nuits blanches. Alors quand elle m’a appelée en larmes après son divorce, je n’ai pas hésité une seconde : « Viens à la maison, reste le temps qu’il faudra. »

Au début, c’était comme un retour en adolescence. On riait devant des vieux films français, on se racontait nos galères au boulot — moi à la médiathèque municipale, elle en télétravail pour une boîte de communication. Mais très vite, quelque chose a changé. Camille s’est installée dans mon quotidien comme si c’était le sien. Elle réorganisait les placards (« Tu verras, c’est plus pratique comme ça ! »), invitait ses amis sans me prévenir (« Tu ne vas pas rester toute seule ce soir ? »), et s’appropriait mes habitudes — jusqu’à mon chat, qui ne jurait plus que par elle.

Un soir, alors que je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Camille et ma fille Lucie en train de cuisiner ensemble. Elles riaient aux éclats, et pendant un instant j’ai eu l’impression d’être une étrangère dans ma propre famille. Lucie m’a lancé :
— Maman, Camille m’a appris à faire des crêpes comme en Bretagne !

J’ai souri, mais au fond de moi, une pointe de jalousie s’est installée. Ma maison n’était plus mon refuge. Je me sentais reléguée au rang de figurante dans ma propre vie.

Les semaines ont passé. Camille ne cherchait pas d’appartement. Elle disait qu’elle avait besoin de temps pour se reconstruire. Je comprenais… mais jusqu’à quand ? Un matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, elle a débarqué dans la cuisine :
— Tu sais, j’ai pensé qu’on pourrait repeindre le salon. Ça ferait du bien à tout le monde !

J’ai explosé :
— Camille, c’est chez moi ici ! Tu ne peux pas décider de tout sans me demander !

Elle a blêmi. Un silence glacial s’est installé entre nous. Lucie est entrée à ce moment-là et a senti la tension :
— Qu’est-ce qui se passe ?

Je n’ai rien répondu. J’avais honte de ma colère, honte d’en vouloir à mon amie qui traversait une période difficile. Mais j’étais épuisée de devoir toujours faire des compromis chez moi.

Le soir même, j’ai appelé ma sœur Claire pour lui confier mon malaise.
— Tu es trop gentille, m’a-t-elle dit. Tu t’oublies complètement pour les autres.

Ses mots m’ont fait l’effet d’une gifle. Depuis des années, j’avais toujours été celle qui arrangeait tout le monde : mes collègues qui oubliaient leurs horaires, mon ex-mari qui débarquait sans prévenir pour voir Lucie… Et maintenant Camille.

Quelques jours plus tard, alors que Camille était sortie voir des amis (les siens), j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai écrit une lettre. Je lui ai expliqué ce que je ressentais : l’impression d’être invisible chez moi, la peur de perdre notre amitié à force de non-dits. J’ai posé la lettre sur son oreiller.

Le lendemain matin, elle est venue me voir les yeux rougis.
— Je suis désolée… Je n’avais pas compris que je prenais autant de place.

Nous avons parlé pendant des heures. Camille a décidé de chercher un appartement dès la semaine suivante. Mais quelque chose s’était brisé entre nous — une confiance naïve que rien ne pourrait jamais nous séparer.

Aujourd’hui encore, je repense à cette période avec un mélange de tristesse et de soulagement. J’ai appris que même les amitiés les plus solides ont leurs limites — et que s’oublier soi-même pour les autres finit toujours par coûter cher.

Est-ce qu’on peut vraiment tout sacrifier pour une amitié ? Ou faut-il parfois savoir dire stop pour se protéger ? Qu’en pensez-vous ?