« Tu ne fais rien de tes journées ! » – Mon combat pour le respect pendant mon congé parental
« Tu ne fais rien de tes journées ! »
La phrase claque, sèche, comme une gifle. Je suis debout dans la cuisine, les mains plongées dans l’eau tiède, la fatigue collée à la peau. Thomas vient de rentrer, il pose sa sacoche sur la table, soupire bruyamment et me lance ce reproche sans même croiser mon regard. Je sens mes joues brûler, mais je ravale mes mots. Louise, notre fille de dix-huit mois, joue à mes pieds avec ses cubes en bois. Elle lève vers moi ses grands yeux noisette, innocente, inconsciente du poids qui vient de s’abattre sur moi.
Je m’appelle Claire, j’ai trente-deux ans, et depuis un an, j’ai mis ma carrière d’infirmière entre parenthèses pour m’occuper de notre fille. Au début, j’étais fière de ce choix. Je voulais être présente pour elle, la voir grandir, l’accompagner dans ses premiers pas. Mais aujourd’hui, je me sens invisible. À la maison, tout tourne autour de Louise : les repas à préparer, les couches à changer, les lessives qui s’accumulent, les rendez-vous chez le pédiatre… Et pourtant, Thomas ne voit rien. Pour lui, je « profite » du temps libre.
Ce soir-là, après avoir couché Louise, je m’effondre sur le canapé. Je repense à cette journée : le réveil en sursaut à 6h30 à cause des pleurs, le petit-déjeuner renversé sur le sol, la crise de larmes au moment de l’habillage, la promenade au parc sous la pluie parce que rester enfermées rend Louise folle… J’ai couru toute la journée sans m’arrêter. Mais ça, Thomas ne le sait pas. Il ne voit que le désordre dans le salon et le dîner pas encore prêt.
Je me souviens d’un temps où nous étions complices. Avant Louise, on riait ensemble des petits tracas du quotidien. Maintenant, chaque soir ressemble à un tribunal silencieux où je dois justifier mon existence. Un jour, alors que je plie du linge dans la chambre, j’entends Thomas au téléphone avec sa mère :
— Non mais tu sais, Claire ne travaille plus… Elle s’occupe de la petite, c’est tout.
C’est tout. Ces deux mots me transpercent. Je me sens seule, incomprise. Même ma propre mère me dit parfois : « Tu as de la chance de pouvoir rester à la maison ! » Mais est-ce vraiment une chance ? Ou une épreuve ?
Les jours passent et la tension monte. Je deviens irritable, je pleure pour un rien. Un matin, alors que Thomas s’apprête à partir au travail, je craque :
— Tu crois vraiment que je ne fais rien ? Tu crois que c’est facile d’être seule toute la journée avec un bébé ?
Il me regarde, surpris par ma colère.
— Je voulais juste dire que… Enfin… Tu pourrais peut-être t’organiser différemment ?
Je sens la colère monter en moi comme une vague. Je lui balance tout : les nuits sans sommeil, la peur de mal faire, l’impression d’être jugée en permanence. Il reste silencieux. Je vois bien qu’il ne comprend pas.
Un soir, alors que Louise dort enfin après une énième crise de dents, je décide d’écrire tout ce que je ressens dans un carnet. Les mots coulent comme des larmes : solitude, fatigue, frustration… Mais aussi amour immense pour ma fille et nostalgie de mon ancienne vie. J’ai besoin d’exister autrement qu’à travers les yeux des autres.
Un dimanche matin, Thomas propose qu’il s’occupe de Louise pendant que je vais prendre l’air. J’hésite puis j’accepte. En revenant deux heures plus tard, je le trouve épuisé sur le canapé, Louise hurlant dans ses bras.
— Je ne comprends pas comment tu fais… souffle-t-il.
Pour la première fois depuis des mois, il me regarde vraiment. Il voit ma fatigue, mon courage aussi. Ce jour-là marque un tournant. Il commence à m’aider davantage : il prépare le dîner certains soirs, donne le bain à Louise… Mais surtout, il arrête de dire que je « ne fais rien ».
Pourtant, la blessure reste vive. J’ai compris que le respect ne se demande pas : il se construit chaque jour. J’ai repris contact avec mes amies du lycée ; on se retrouve parfois autour d’un café pour parler de nos vies de mères épuisées mais fières. J’ai même commencé à écrire un blog sur la réalité du congé parental en France.
Aujourd’hui encore, il y a des jours où je doute. Où je me demande si mon choix était le bon. Mais quand Louise court vers moi en riant ou que Thomas me remercie d’un regard sincère, je me dis que oui : ma place est ici pour l’instant.
Est-ce qu’on réalise vraiment tout ce que vivent les parents au foyer ? Pourquoi est-ce si difficile d’admettre que s’occuper d’un enfant est un vrai travail ?