Sortie de la maternité : rentrer chez soi avec un bébé… et rien d’autre
« Tu es sûre que tu as tout ? » La voix de mon mari, Paul, résonne dans le couloir blanc de la maternité. Je serre mon fils contre moi, minuscule paquet endormi dans sa couverture. Je n’ai rien, à part lui. Pas de lit, pas de table à langer, même pas un body propre pour le changer. Je regarde Paul, costume froissé, cernes sous les yeux. Il n’a pas pris un jour de congé. « Mon chef ne veut pas, tu comprends », m’a-t-il répété cent fois. Je comprends, mais je n’accepte pas.
Dans la voiture, le silence s’installe. Je sens la colère monter, mêlée à une tristesse poisseuse. J’avais rêvé ce retour à la maison : Paul qui m’accueille avec des fleurs, la chambre du bébé prête, les peluches alignées sur l’étagère. Au lieu de ça, il pianote sur son téléphone, répond à des mails urgents. « On passera à Carrefour ce soir », marmonne-t-il sans lever les yeux.
En poussant la porte de notre appartement à Lyon, je suis saisie par le vide. Le salon est en désordre, des papiers traînent partout. La chambre du bébé n’est qu’un débarras où s’entassent cartons et linge sale. Je pose le cosy sur la table basse et m’effondre sur le canapé. Paul pose sa veste et file dans la cuisine : « Tu veux un café ? »
Je voudrais hurler. Je voudrais qu’il voie ma détresse. Mais il ne voit rien. Il ne voit que ses mails, ses dossiers, ses deadlines. Je me sens invisible.
Le soir tombe. Paul rentre tard du supermarché avec quelques couches et un paquet de lingettes. « Il n’y avait plus de pyjamas taille naissance », s’excuse-t-il. J’habille mon fils avec un vieux t-shirt à moi, découpé à la va-vite. Je pleure en silence pendant qu’il s’endort sur mon torse.
Les jours suivants sont un chaos sans nom. Paul part tôt, rentre tard. Sa mère m’appelle : « Tu sais, à mon époque on faisait avec ce qu’on avait ! » Ma propre mère est loin, en Bretagne, immobilisée par une hanche cassée. Je suis seule avec ce bébé qui pleure et ce sentiment d’échec qui me ronge.
Un matin, alors que je change mon fils sur une serviette posée par terre, je craque :
— Paul, il faut qu’on parle.
Il soupire :
— Encore ? Tu sais que je fais ce que je peux…
— Ce n’est pas assez ! J’ai besoin de toi !
Il détourne le regard :
— Tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai peur aussi, tu sais.
Je le regarde enfin comme il est : perdu, dépassé, aussi fragile que moi. Mais pourquoi ne pas l’avoir dit avant ? Pourquoi ce silence entre nous ?
Les semaines passent et rien ne s’arrange vraiment. Nous nous disputons pour tout : les courses oubliées, les nuits blanches, les visites impromptues de sa famille qui juge sans comprendre. Un soir, alors que je berce notre fils en pleurant, Paul s’approche timidement :
— Je suis désolé… Je croyais que tu gérais mieux que moi.
Je ris jaune :
— On ne gère pas un bébé tout seul.
Petit à petit, on apprend à demander de l’aide. Une voisine me prête un berceau. Une amie m’apporte des vêtements trop petits pour sa fille. Paul finit par poser deux jours de congé sous la pression de son médecin qui le trouve au bord du burn-out.
Mais la blessure reste là : cette solitude immense au moment où j’avais le plus besoin de soutien. Cette impression d’être abandonnée par celui qui aurait dû être mon allié.
Aujourd’hui encore, des mois après cette sortie de la maternité chaotique, je me demande : pourquoi tant de femmes vivent-elles cela en France ? Pourquoi la société attend-elle des mères qu’elles soient fortes et organisées alors qu’on ne leur donne ni temps ni espace pour souffler ? Pourquoi tant d’hommes se sentent-ils exclus ou impuissants face à la naissance ?
Est-ce normal d’avoir eu si peur ? Est-ce normal d’avoir tant douté ? Et vous… comment avez-vous vécu votre retour à la maison avec bébé ?