Quand ta propre fille te désigne coupable : le cri d’une mère brisée
« Tu m’as volé ma jeunesse, maman ! »
La voix de Camille résonne encore dans le salon, tranchante comme une lame. Je suis restée figée, la main crispée sur la table, incapable de répondre. Autour de nous, les regards de mes sœurs, de mon frère et même de ma propre mère se sont détournés, gênés par la violence de ses mots. C’était dimanche dernier, lors du déjeuner familial, ce moment que j’attendais chaque semaine pour retrouver un peu de chaleur humaine. Mais cette fois, tout a explosé.
Je m’appelle Magali. J’ai 52 ans et je vis à Angers. Il y a quinze ans, mon mari, François, m’a quittée pour une autre femme. Camille n’avait que deux ans. Je me souviens encore du matin où il a claqué la porte, sans un regard en arrière. J’ai cru mourir ce jour-là. Mais je n’avais pas le droit de flancher : il fallait que je sois forte pour ma fille.
J’ai enchaîné les petits boulots : caissière à l’Intermarché le matin, femme de ménage chez les voisins l’après-midi. Je rentrais tard, épuisée, mais je faisais tout pour que Camille ne manque de rien. Je lui ai offert des vêtements neufs à chaque rentrée, des livres, des cours de danse… J’ai même refusé des invitations à sortir avec mes amies pour économiser chaque centime. Tout était pour elle.
Mais aujourd’hui, Camille me regarde avec une haine que je ne comprends pas. « Tu ne m’as jamais écoutée ! Tu étais toujours fatiguée ou absente ! » Elle crie, les larmes aux yeux. Je tente de lui expliquer :
— Camille, tu sais bien que je faisais tout ça pour toi…
— Pour moi ?! Tu te caches derrière ça ! Tu voulais juste te donner bonne conscience !
Je sens mon cœur se serrer. Ma propre fille me juge coupable d’un crime que je n’ai pas commis. Où ai-je échoué ?
Les souvenirs affluent : les soirs où je rentrais trop tard pour lui lire une histoire ; les matins où je la déposais à la garderie avant l’aube ; les anniversaires fêtés à la va-vite parce que je devais repartir travailler… Peut-être qu’elle a raison. Peut-être que j’ai raté l’essentiel.
Après le déjeuner désastreux, ma sœur Sylvie m’a prise à part dans la cuisine.
— Magali, tu sais… Camille traverse une période difficile. Elle cherche un responsable à ses malheurs.
— Mais pourquoi moi ? Je n’ai fait que me sacrifier pour elle !
Sylvie a haussé les épaules :
— Les enfants ne voient pas toujours ce qu’on fait pour eux. Ils voient juste ce qui leur manque.
Cette nuit-là, j’ai pleuré comme jamais depuis le départ de François. J’ai repensé à toutes ces années de solitude, à ces réveils dans un lit froid, au silence qui envahissait la maison quand Camille partait chez son père le week-end. François ne s’est jamais soucié de savoir si j’allais bien. Il envoyait un chèque chaque mois et c’était tout.
Camille a grandi entre deux mondes : chez moi, la rigueur et les fins de mois difficiles ; chez son père et sa nouvelle femme, le confort et les vacances à La Baule. Comment rivaliser ?
Un soir, alors qu’elle avait seize ans, elle est rentrée furieuse :
— Papa dit que tu es trop dure avec moi ! Que tu veux tout contrôler !
J’ai voulu lui répondre que son père n’avait jamais levé le petit doigt pour elle, mais je me suis tue. Je ne voulais pas l’empoisonner avec mes rancœurs.
Aujourd’hui, Camille a 17 ans. Elle prépare son bac mais semble perdue. Elle sort beaucoup, rentre tard, ne parle presque plus avec moi. Elle me reproche tout : mon absence, ma sévérité, mon manque d’écoute…
Hier soir encore, elle a claqué la porte de sa chambre après une dispute sur ses notes.
— Tu veux toujours que je sois parfaite ! Mais tu ne vois même pas qui je suis vraiment !
Je me suis assise sur son lit vide et j’ai regardé ses photos d’enfance accrochées au mur. Où est passée la petite fille qui me serrait fort dans ses bras ? Celle qui me disait « Je t’aime maman » avant de s’endormir ?
Je me sens coupable et impuissante. Ai-je trop donné ? Ou pas assez ? Est-ce que le fait d’avoir tout sacrifié pour elle l’a privée d’autre chose ? D’une mère présente ? D’une oreille attentive ?
Je voudrais lui dire que je l’aime plus que tout au monde. Que si j’ai travaillé si dur, c’était pour qu’elle ait une vie meilleure que la mienne. Mais les mots restent coincés dans ma gorge.
Ce matin, en partant au lycée, elle m’a lancé un regard froid.
— Arrête de faire semblant d’être une bonne mère.
J’ai refermé la porte doucement derrière elle et je me suis effondrée sur le carrelage de l’entrée.
À vous qui lisez mon histoire… Est-ce vraiment possible d’aimer trop son enfant ? Peut-on être coupable d’avoir voulu trop bien faire ?