Quand j’ai tout perdu sur la plage de Saint-Malo : Confession d’un père qui a oublié sa famille
« Tu pars ? Tu pars vraiment, Paul ? Et les enfants, tu y penses ? »
La voix de Camille résonne encore dans ma tête, tranchante comme un couteau. Ce matin-là, dans notre cuisine de Rennes, la lumière grise filtrait à peine à travers les rideaux. J’avais déjà préparé mon sac, décidé à partir seul à Saint-Malo. Je croyais que c’était juste quelques jours pour souffler, pour retrouver un peu de moi-même. Mais dans le regard de Camille, il y avait tout : la colère, la peur, et cette tristesse qui me serrait la gorge.
« J’ai besoin d’air, Camille. Je n’en peux plus. »
Elle a ri, un rire sec, presque méprisant. « Tu crois que moi j’en peux plus ? Tu crois que c’est facile de tout porter pendant que Monsieur va voir la mer ? »
J’ai claqué la porte. Les enfants dormaient encore. Je n’ai pas eu le courage d’aller leur dire au revoir.
Sur la route vers Saint-Malo, la radio grésillait. Les paysages défilaient, mais je ne voyais rien. Je pensais à mes deux filles, Léa et Manon, à leurs rires du soir, à leurs disputes pour une place sur le canapé. Je me suis dit que quelques jours loin d’eux ne changeraient rien. Que j’avais le droit d’être fatigué.
À mon arrivée, la mer était grise, agitée. J’ai loué une petite chambre d’hôtel près des remparts. Le soir, j’ai marché longtemps sur la plage, les pieds nus dans le sable froid. J’ai essayé de me convaincre que j’étais libre, que je faisais ce qu’il fallait pour ne pas exploser.
Mais chaque message de Camille était une gifle :
« Léa a pleuré toute la nuit. »
« Manon refuse de manger sans toi. »
« Tu comptes rentrer quand ? »
Je ne répondais pas. J’avais honte. Mais je me disais que c’était temporaire.
Le troisième jour, j’ai croisé un vieux monsieur sur la digue. Il promenait son chien et m’a lancé : « Vous avez l’air perdu, jeune homme. »
J’ai souri faiblement. Il a continué : « Moi aussi, j’ai cru qu’on pouvait fuir les siens. Mais on ne fuit jamais vraiment. On se retrouve juste plus seul qu’avant. »
Ses mots m’ont frappé en plein cœur.
Le soir même, j’ai appelé Camille. Sa voix était lasse : « Paul, tu fais quoi ? Les filles te réclament tous les soirs. Moi aussi… »
Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai pleuré comme un enfant sur le lit d’hôtel.
Le lendemain matin, je suis allé au marché couvert acheter des galettes pour les ramener à la maison. J’ai croisé des familles entières qui riaient ensemble autour des étals de poissons et de crêpes. J’avais l’impression d’être transparent.
Sur le chemin du retour, chaque kilomètre me rapprochait de ma honte et de mes regrets. J’imaginais Camille fatiguée, les cernes sous les yeux, Léa et Manon silencieuses devant leur bol de chocolat chaud.
Quand je suis rentré à Rennes, il faisait nuit. J’ai ouvert doucement la porte. Léa s’est jetée dans mes bras en pleurant : « Papa, tu ne pars plus jamais ! » Manon m’a serré si fort que j’en ai eu mal aux côtes.
Camille m’a regardé longtemps sans rien dire. Puis elle a murmuré : « Tu as compris maintenant ? »
J’ai hoché la tête. Je n’étais pas parti pour fuir ma famille ; j’étais parti parce que j’avais oublié ce qu’elle représentait vraiment pour moi.
Depuis ce jour-là, rien n’a été simple. Il a fallu regagner la confiance de Camille, rassurer les filles chaque soir avant qu’elles s’endorment. Mais je sais maintenant que l’amour ne se prend pas pour acquis ; il se construit chaque jour, même dans la fatigue et les disputes.
Parfois, je repense à ce vieux monsieur sur la digue. Avait-il lui aussi tout perdu avant de comprendre ?
Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller avant de réaliser ce que vous risquez de perdre ?