Pas Encore Une Chambre Pour Ma Belle-Mère : Un Toit, Un Combat

— Camille, tu ne comprends pas, c’est normal que je vienne vivre avec vous. Je n’ai plus personne, et Julien est mon fils unique !

La voix de Françoise résonne dans l’appartement exigu où Julien et moi, on rêve déjà d’espace et de liberté. Je serre la tasse de café entre mes mains, tentant de masquer le tremblement qui me parcourt. Julien, assis à côté de moi, évite mon regard. Je sens la colère monter, mais aussi une tristesse sourde : comment en est-on arrivé là ?

Tout a commencé il y a six mois, quand Julien et moi avons décidé d’acheter notre premier appartement à Nantes. On avait économisé chaque centime, renoncé aux vacances, aux sorties, pour pouvoir enfin quitter ce deux-pièces où l’on se marchait dessus. Mais dès que Françoise a appris la nouvelle, elle s’est invitée dans chaque visite, chaque discussion avec le banquier, chaque rêve esquissé sur un bout de papier.

— Vous devriez prendre au moins trois chambres, disait-elle. On ne sait jamais, si un jour vous avez un enfant… ou si moi, j’ai besoin d’aide.

Julien haussait les épaules, gêné. Moi, je riais jaune. Trois chambres ? Avec nos salaires d’infirmière et de prof de collège ? Même pas en rêve. Mais Françoise insistait, toujours plus présente, toujours plus intrusive. Elle apportait des catalogues d’agences immobilières, soulignait les annonces qui lui plaisaient — jamais celles qui étaient dans notre budget.

Un soir, après une visite particulièrement éprouvante d’un appartement hors de prix à Saint-Félix, j’ai craqué.

— Julien, il faut qu’on parle. Ta mère… elle veut vivre avec nous ou quoi ?

Il a soupiré longuement.

— Elle est seule depuis que papa est parti. Elle a peur de finir isolée…

— Et moi ? Tu penses à moi ? À nous ?

Le silence s’est installé entre nous comme un mur invisible. J’ai senti la distance grandir, insidieuse.

Les semaines suivantes ont été un enfer. Françoise appelait tous les soirs. Elle venait chez nous sans prévenir, déposait des plats cuisinés sur le palier « pour vous aider », disait-elle. Mais je savais que c’était pour surveiller, pour s’immiscer dans notre intimité.

Un samedi matin, alors que nous visitions enfin un appartement qui semblait parfait — deux chambres, un petit balcon sur la Loire — Françoise a débarqué sans prévenir.

— C’est trop petit ici ! Où vais-je dormir si j’ai besoin de rester ?

J’ai senti mes joues brûler. L’agent immobilier nous regardait avec gêne. Julien n’a rien dit. J’ai eu envie de hurler.

Le soir même, j’ai confronté Julien.

— Je ne veux pas vivre avec ta mère ! Je veux qu’on soit heureux, juste toi et moi !

Il m’a regardée longtemps, les yeux pleins de fatigue.

— Je comprends… Mais si on la laisse tomber maintenant, elle n’a plus personne.

J’ai pleuré toute la nuit. Comment choisir entre mon bonheur et la détresse d’une femme qui n’est pas la mienne ?

Les jours ont passé. L’appartement nous est passé sous le nez — trop lent à se décider, trop hésitants. Françoise continuait son chantage affectif : « Si vous m’aimiez vraiment… »

Un dimanche midi, alors que nous déjeunions chez elle — tradition familiale obligatoire — elle a posé sa main sur celle de Julien.

— Tu sais que je ne veux pas être un poids… Mais je ne supporte pas l’idée d’être seule.

J’ai explosé.

— Françoise, ce n’est pas à nous de porter tout ça ! On veut juste vivre notre vie !

Un silence glacial a suivi. Julien a baissé les yeux. Françoise s’est levée sans un mot et s’est enfermée dans sa chambre.

Sur le chemin du retour, Julien m’a dit :

— Tu as été dure…

— Et toi ? Tu ne vois pas que tu me perds ?

Les semaines suivantes ont été tendues. On ne parlait plus d’appartement. On ne parlait plus d’avenir. Juste du quotidien, des courses à faire, des factures à payer.

Un soir d’avril, alors que je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Julien assis dans le noir.

— J’ai appelé maman. Je lui ai dit qu’on ne pouvait pas vivre ensemble. Que c’était notre choix.

J’ai pleuré de soulagement et de tristesse mêlés. Il avait choisi notre couple… mais à quel prix ?

Françoise ne nous parle plus depuis deux mois. Julien est triste mais soulagé. Moi aussi… mais parfois je culpabilise.

Est-ce égoïste de vouloir préserver son bonheur ? Jusqu’où doit-on aller pour protéger son couple face à la famille ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?