Nous avons tout sacrifié pour que ma belle-mère parte… et elle refuse de quitter notre appartement !

— Non, Sylvie, je ne partirai pas. Je me sens bien ici, c’est chez moi aussi, tu comprends ?

Sa voix résonne dans le salon, froide et déterminée. J’ai la gorge serrée, les mains moites. Je regarde Paul, mon mari, espérant qu’il dise quelque chose, qu’il prenne enfin ma défense. Mais il baisse les yeux, comme d’habitude. Dix ans. Dix ans à compter chaque centime, à refuser les vacances, à acheter des vêtements d’occasion pour Zoé, notre fille, tout ça pour rembourser ce fichu appartement. Et maintenant, alors que tout devait changer, elle refuse de partir.

Je me revois il y a trois mois, assise à la table de la cuisine avec Paul et sa mère, Françoise. On avait tout planifié : elle irait dans le petit studio qu’on venait d’acheter à côté de la gare de Lyon, nous garderions l’appartement familial à Montreuil. Elle avait même signé le compromis !

— Tu te souviens de ce qu’on avait convenu ?

Ma voix tremble. Françoise me regarde avec un sourire pincé.

— Oui, mais j’ai changé d’avis. Je ne veux pas vivre seule. Et puis, ce quartier ne me plaît pas.

Je sens la colère monter. Comment peut-elle faire ça ? Après tout ce qu’on a fait pour elle !

— Paul, dis quelque chose !

Il se lève lentement, va vers la fenêtre et regarde dehors. Je sais qu’il déteste les conflits. Mais là, c’est trop.

— Maman… On avait tout organisé… Tu avais promis…

Françoise hausse les épaules.

— J’ai 68 ans, Paul. Tu veux que je finisse mes jours seule dans un studio minuscule ? Ici, j’ai mes habitudes, mes amis… Et puis Zoé a besoin de moi.

Je serre les poings. Zoé a dix ans. Elle rêve d’avoir sa propre chambre depuis des années. Mais avec Françoise dans le salon, impossible.

Les jours passent et la tension devient insupportable. Je n’arrive plus à dormir. Paul fait semblant que tout va bien. Zoé me demande pourquoi mamie ne part pas comme prévu.

Un soir, alors que je rentre du travail épuisée, je trouve Françoise en train de fouiller dans mes affaires.

— Tu cherches quelque chose ?

Elle sursaute.

— Je voulais juste ranger un peu… Cet appartement est aussi le mien, tu sais.

Je n’en peux plus. J’appelle ma mère en pleurant.

— Maman, je vais craquer… Elle ne veut pas partir… Paul ne dit rien…

Ma mère soupire.

— Tu dois poser des limites, Sylvie. Ce n’est pas normal.

Mais comment faire ? La loi est de son côté : elle est domiciliée ici depuis plus de dix ans. Impossible de la mettre dehors sans son accord.

Les disputes deviennent quotidiennes. Un matin, Zoé éclate en sanglots parce qu’elle ne trouve pas ses cahiers : Françoise a encore déplacé ses affaires.

— Mamie prend toute la place ! Je veux qu’elle parte !

Je serre ma fille contre moi. Je me sens impuissante.

Un soir, Paul rentre tard. Il a bu. Il s’assoit à côté de moi sur le canapé.

— Je suis désolé… Je ne sais pas quoi faire… C’est ma mère…

Je le regarde avec colère.

— Et moi ? Et ta fille ? On compte pour du beurre ?

Il baisse la tête. Je sens que notre couple vacille.

Un dimanche matin, je prends mon courage à deux mains.

— Françoise, il faut qu’on parle sérieusement. Ce n’est plus possible. On a besoin d’intimité, Zoé a besoin d’espace…

Elle me coupe sèchement.

— Si tu veux que je parte, il faudra me traîner au tribunal !

Je reste bouche bée. Comment en est-on arrivé là ?

Les semaines passent. L’ambiance est irrespirable. Je commence à regarder les annonces pour louer un autre appartement… Mais après dix ans de crédit, on n’a plus rien de côté.

Un soir, Zoé me demande :

— Maman, pourquoi mamie ne veut pas partir ?

Je n’ai pas de réponse.

Je me sens trahie par Paul, par Françoise… par la vie elle-même. Tout ce que j’avais imaginé s’effondre. Je rêve d’une vie simple : un dîner en famille sans tension, une soirée tranquille devant un film avec Paul et Zoé… Est-ce trop demander ?

Aujourd’hui encore, je me demande : comment peut-on sacrifier autant pour sa famille et se retrouver piégée chez soi ? Est-ce que d’autres vivent la même chose que moi ?