Mon fils a tout quitté pour suivre sa passion… et j’ai compris trop tard ce que cela voulait dire

« Tu es fou, Paul ! Tu vas tout gâcher ! » Ma voix tremblait, plus de peur que de colère. Paul, mon fils unique, se tenait devant moi, les bras croisés, le regard déterminé. Il venait de m’annoncer qu’il quittait son poste de cadre dans une grande banque parisienne pour devenir photographe indépendant.

« Maman, je ne peux plus continuer comme ça. Je me lève chaque matin avec la boule au ventre. Je veux vivre de ma passion, pas survivre dans un bureau. »

Je me suis sentie trahie. Toute ma vie, j’avais travaillé dur pour lui offrir la stabilité que je n’avais jamais eue. J’avais grandi dans une famille modeste à Lille, où chaque sou comptait. J’avais rêvé pour lui d’une vie sans peur du lendemain, d’un CDI, d’un appartement à son nom, d’une retraite assurée. Et voilà qu’il jetait tout cela par la fenêtre pour… des photos ?

« Tu as un bon salaire, un appartement à Paris, des collègues qui t’apprécient… Tu vas tout perdre ! »

Paul a soupiré. « Ce n’est pas ça, la vie, maman. Je veux me lever le matin avec le sourire. Je veux créer, voyager, rencontrer des gens… »

Je n’ai rien voulu entendre. Pendant des semaines, j’ai tenté de le raisonner. J’ai appelé sa sœur, Camille, pour qu’elle lui parle. J’ai même demandé à son père – mon ex-mari – d’intervenir. Mais Paul restait ferme.

Le jour où il a rendu ses clés de bureau, j’ai pleuré toute la nuit. Je me sentais impuissante et coupable. Avais-je raté quelque chose dans son éducation ? Pourquoi ne comprenait-il pas la valeur de la sécurité ?

Les mois ont passé. Paul vivait de petits contrats, courait les mariages et les baptêmes avec son appareil photo usé. Il partageait un studio avec deux autres artistes à Montreuil. Il m’appelait moins souvent. Quand il venait dîner à la maison, je sentais entre nous une distance nouvelle, faite de non-dits et de regrets.

Un soir d’hiver, alors que je rentrais tard du travail – je suis secrétaire médicale dans un cabinet d’ophtalmologie –, j’ai glissé sur le trottoir verglacé devant chez moi. Fracture du poignet. Immobilisée pendant des semaines, j’ai dû prendre un arrêt maladie prolongé.

C’est là que tout a basculé.

Pour la première fois depuis des années, j’étais forcée de ralentir. De rester seule avec moi-même et mes pensées. J’ai repensé à mes rêves d’adolescente : je voulais être écrivaine ou comédienne. Mais la vie m’avait vite rappelée à l’ordre : il fallait payer le loyer, aider mes parents malades, élever mes enfants.

Paul est venu me voir presque tous les jours pendant ma convalescence. Il m’apportait des photos qu’il avait prises : un vieux monsieur qui riait sur un banc du parc Monceau, une petite fille qui courait après des pigeons place de la République… Il me racontait ses rencontres, ses galères aussi.

Un soir, alors que nous regardions ensemble ses clichés sur son ordinateur, il m’a dit : « Tu sais maman, je ne regrette rien. Même si c’est dur parfois. Je me sens vivant. »

J’ai senti les larmes monter. Pour la première fois, j’ai vu mon fils non comme un enfant qui prend des risques insensés, mais comme un homme courageux qui ose vivre selon ses convictions.

Quelques semaines plus tard, mon patron m’a appelée : « On va devoir réduire les heures de secrétariat… » J’ai compris que rien n’était jamais acquis, même pas la fameuse sécurité dont je parlais tant à Paul.

J’ai alors pris une décision folle : m’inscrire à un atelier d’écriture dans ma ville. J’y ai rencontré des femmes et des hommes de tous âges qui, comme moi, avaient mis leurs rêves de côté trop longtemps.

Un soir, j’ai invité Paul à dîner et je lui ai tendu mon premier texte imprimé. Il m’a regardée avec fierté : « Tu vois maman… il n’est jamais trop tard pour commencer à vivre pour soi. »

Aujourd’hui encore, je ne comprends pas tout ce qui pousse mon fils à choisir l’incertitude plutôt que le confort. Mais je sais une chose : il m’a appris le courage d’écouter mon cœur.

Parfois je me demande : combien d’entre nous vivent vraiment leur vie ? Et vous… avez-vous déjà osé tout recommencer ?