Mon beau-père a emménagé chez nous pour cinq mois : notre vie de famille a explosé

— Tu ne peux pas comprendre, Élodie ! Ce n’est pas ton père, c’est le mien !

La voix de Julien résonne encore dans le salon, alors que je serre notre fils contre moi. Il est 22h, la lumière du couloir découpe l’ombre massive de mon beau-père, Gérard, qui vient d’arriver avec ses deux valises cabossées. Je sens déjà l’odeur de tabac froid et de vieux cuir envahir notre appartement de trois pièces, niché au cœur du 13ème arrondissement. C’est chez nous, mais ce soir, tout m’échappe.

Gérard a perdu son emploi à la SNCF il y a deux mois. Sa maison à Melun est en travaux suite à un dégât des eaux, et il n’a nulle part où aller. Julien n’a pas hésité : « Papa, viens chez nous, le temps que ça s’arrange. » Moi, je n’ai rien dit. J’ai juste souri, pour ne pas faire de vagues. Mais au fond, j’ai senti la peur s’installer.

Dès le premier matin, tout a changé. Gérard s’est levé avant nous, a ouvert toutes les fenêtres malgré le froid de février, et a commencé à faire du café — fort, amer, comme lui. Il a râlé sur la marque du pain, sur la façon dont je range la vaisselle, sur le bruit que fait notre fils Arthur en jouant. « À mon époque, un enfant ça savait se tenir ! »

Julien travaille beaucoup — trop — pour éviter les tensions. Il part tôt, rentre tard. Je me retrouve seule avec Gérard et Arthur toute la journée. Je me sens étrangère chez moi. Gérard occupe le salon, regarde les infos en boucle, critique tout : la politique, les voisins, même la façon dont je parle à mon fils.

Un soir, alors que je couche Arthur, j’entends Gérard dire à Julien : « Tu devrais être plus ferme avec ta femme. Elle te marche dessus. » Mon cœur se serre. Je me sens trahie. Julien ne répond rien. Il baisse les yeux.

Les semaines passent et la tension monte. Je fais des efforts : j’achète ses biscuits préférés, je lui propose de l’aider à trouver un logement temporaire. Il refuse tout. « Je ne veux pas d’aide sociale ! Je ne suis pas un assisté ! »

Un dimanche matin, alors que je prépare le petit-déjeuner, Gérard entre dans la cuisine sans frapper :
— Tu sais cuisiner autre chose que des tartines ?
Je serre les dents.
— Gérard, c’est dimanche… On fait simple.
Il hausse les épaules et sort en marmonnant.

Julien et moi ne nous parlons presque plus. Les rares moments d’intimité sont volés par la peur d’être entendus ou jugés. Un soir, je craque :
— Tu ne vois pas que je suis au bout ? On n’a plus de place pour nous ici !
Julien soupire :
— C’est temporaire… Il n’a personne d’autre.
— Et nous ? On compte pour qui ?

Arthur commence à faire des cauchemars. Il pleure la nuit, réclame son père qui n’est jamais là. Je me sens seule face à tout : l’enfant, le mari absent, le beau-père envahissant.

Un jour, je rentre des courses et trouve Gérard en train de fouiller dans mes papiers personnels.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Il me regarde sans gêne :
— Je voulais voir si tu avais des factures en retard. On ne sait jamais avec les jeunes couples…
Je tremble de colère.
— Ce sont mes affaires !
Il hausse les épaules :
— Quand on vit sous le même toit, on partage tout.

Je me réfugie dans la chambre avec Arthur. Je pleure en silence. Je pense à partir mais je n’ai nulle part où aller — c’est l’appartement de Julien.

Les disputes deviennent quotidiennes. Un soir, devant Arthur qui joue sur le tapis, Gérard lance :
— De mon temps, une femme savait tenir sa maison !
Julien explose enfin :
— Papa, ça suffit ! Ici c’est chez nous !
Gérard se lève brusquement :
— Chez vous ? Sans moi tu serais encore à payer ton crédit étudiant !
Le silence tombe comme une chape de plomb.

Cette nuit-là, Julien vient me retrouver dans la chambre d’Arthur où je me suis réfugiée.
— Je suis désolé… Je ne sais plus quoi faire.
Je le regarde dans la pénombre.
— On va se perdre si ça continue…
Il prend ma main.
— Je vais lui parler demain.

Le lendemain matin, Julien annonce à son père qu’il doit chercher une solution. Gérard claque la porte du salon et disparaît toute la journée. Le soir venu, il revient ivre et s’effondre sur le canapé.

Les jours suivants sont tendus mais Gérard finit par accepter une chambre chez un cousin à Créteil. Le jour de son départ, il ne me regarde même pas.

Julien et moi restons longtemps silencieux après son départ. Notre couple est ébranlé mais vivant. Arthur recommence à sourire.

Aujourd’hui encore je me demande : jusqu’où doit-on aller par loyauté familiale ? Peut-on vraiment sauver son couple quand on ne se sent plus chez soi ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?