« Ma fille adulte ne me laisse aucune intimité : aimer à nouveau à 50 ans, c’est comme redevenir ado »

— Tu rentres encore tard ce soir, maman ?

La voix de Nora résonne dans le couloir, tranchante comme une lame. Je sursaute, mon manteau à la main, prête à filer. J’ai 52 ans, mais à cet instant précis, je me sens comme une gamine prise en faute. Je bafouille :

— J’ai… un dîner avec des collègues.

Mensonge. Encore. Depuis que j’ai rencontré François, je mens à ma propre fille comme une adolescente qui cache son premier amour. C’est ridicule, non ? Mais comment lui dire la vérité ?

Il y a dix ans, quand j’ai quitté son père, j’ai cru que plus jamais je ne tomberais amoureuse. J’ai élevé Nora seule, en serrant les dents, en mettant mes envies de côté. Les années ont passé, elle a grandi, moi aussi. Enfin… c’est ce que je croyais.

François est arrivé dans ma vie comme une bourrasque. Un collègue d’une amie, divorcé lui aussi, les tempes grisonnantes et le sourire timide. On s’est vus pour un café, puis un autre. Très vite, j’ai senti mon cœur s’emballer comme à 17 ans. Mais comment expliquer ça à Nora ?

Elle a 25 ans aujourd’hui. Elle vit encore à la maison depuis la fin de ses études, le temps de trouver un CDI. Elle est brillante, indépendante… mais possessive. Depuis toujours, elle surveille mes moindres faits et gestes. Quand elle était ado, c’était normal. Mais maintenant ?

Ce soir-là, je rejoins François dans un petit resto du 11e arrondissement. Il m’attend déjà, nerveux lui aussi.

— Tu as pu partir sans problème ?

Je ris jaune.

— J’ai l’impression de fuguer…

Il me prend la main sous la table.

— On ne va pas continuer comme ça éternellement, Emma.

Je baisse les yeux. Il a raison. Mais comment affronter Nora ?

Le lendemain matin, alors que je prépare le café, Nora débarque dans la cuisine.

— Tu rentres de plus en plus tard. Tu vois quelqu’un ?

Je sens la panique monter.

— Non… Enfin… C’est compliqué.

Elle me fixe longuement.

— Tu sais que tu peux tout me dire ?

C’est là que je craque.

— Oui, je vois quelqu’un. Il s’appelle François. Et oui, je l’aime bien.

Un silence glacial s’installe.

— Tu plaisantes ? À ton âge ?

La phrase claque comme une gifle. Je sens mes joues brûler.

— Et alors ? Je n’ai pas le droit d’être heureuse ?

Elle hausse les épaules, blessée.

— Tu penses à moi au moins ? Depuis papa…

Je soupire. Voilà le vrai problème : depuis le divorce, Nora a peur de me perdre aussi. Elle ne l’a jamais dit clairement, mais je le sens dans chaque reproche, chaque regard inquiet.

Les jours passent et la tension monte à la maison. Je rentre plus tôt pour éviter les questions. François commence à s’impatienter :

— Tu ne vas pas cacher notre histoire indéfiniment…

Un soir, alors que je rentre d’un week-end avec lui (officiellement « séminaire professionnel »), Nora m’attend dans le salon.

— Je t’ai vue samedi avec lui dans le parc Monceau.

Je blêmis.

— Tu m’as suivie ?

Elle éclate en sanglots :

— J’ai peur de te perdre ! Tu changes… Tu ne me parles plus !

Je m’assieds près d’elle et la prends dans mes bras.

— Nora… Je t’aime plus que tout. Mais j’ai aussi besoin d’exister en dehors de toi.

Elle renifle.

— J’ai l’impression que tu m’abandonnes…

Je lui caresse les cheveux comme quand elle était petite.

— Ce n’est pas parce que j’aime quelqu’un d’autre que je t’aime moins. Mais tu dois me laisser vivre ma vie aussi.

Le lendemain, elle m’envoie un message : « Je suis désolée pour hier soir. J’essaie de comprendre. »

Petit à petit, on réapprend à se parler. Je présente François à Nora autour d’un dîner maladroit mais sincère. Elle reste distante au début, puis se détend en voyant qu’il n’essaie pas de prendre sa place.

Un dimanche matin, alors qu’on prend le petit-déjeuner toutes les deux, elle me lance :

— Tu sais quoi ? Je crois que tu as raison d’être heureuse… Même si ça me fait bizarre.

Je souris, soulagée.

Aujourd’hui encore, il y a des tensions parfois. Mais j’ai compris une chose : on n’arrête jamais vraiment d’être mère… ni d’avoir besoin d’amour.

Est-ce qu’on a vraiment le droit d’aimer librement à tout âge ? Ou bien la famille finit-elle toujours par nous juger ? Qu’en pensez-vous ?