« Je supplie mon mari de m’aider à la maison, mais il refuse : mon cri silencieux »

« Tu pourrais au moins vider le lave-vaisselle, non ? » Ma voix tremble, mais je ne peux plus me retenir. Il est 21h37, les enfants dorment enfin après une bataille épuisante pour les coucher, et je suis debout dans la cuisine, les mains plongées dans l’eau tiède, à frotter une casserole incrustée. Pierre, mon mari, est affalé sur le canapé, les yeux rivés sur son portable. Il ne lève même pas la tête.

« J’ai eu une journée difficile, Camille. Tu sais bien que je bosse aussi. »

J’ai envie de hurler. Moi aussi, j’ai eu une journée difficile. Je suis rentrée du bureau à 18h30, j’ai récupéré Léa et Arthur à la garderie, j’ai préparé le dîner, donné le bain, aidé Léa à faire ses devoirs, consolé Arthur qui a fait une crise parce qu’il voulait dormir avec son doudou sale… Et maintenant, je termine seule ce marathon quotidien pendant que Pierre s’accorde sa « pause bien méritée ».

Je me sens invisible. Comme si tout ce que je faisais était normal, attendu, évident. Comme si être mère et femme signifiait forcément tout porter sur mes épaules. Pourtant, nous avons tous les deux un travail à temps plein. Nous vivons à Lyon, dans un appartement où chaque mètre carré compte et où le désordre s’accumule vite. Mais pour Pierre, la poussière n’existe pas tant que je ne lui mets pas sous le nez.

Je me souviens de nos débuts. Il était attentionné, il cuisinait parfois le week-end, il me disait qu’il admirait mon énergie. Mais depuis la naissance d’Arthur il y a trois ans, tout a changé. Petit à petit, j’ai pris en charge chaque détail du quotidien : les rendez-vous chez le pédiatre, les courses, les lessives, les anniversaires à organiser…

Un soir comme celui-ci, je craque. Je pose violemment la casserole dans l’évier.

« Pierre, tu ne trouves pas ça injuste ? Pourquoi tout repose sur moi ? »

Il soupire sans détourner les yeux de son écran : « Tu exagères. Je t’aide quand je peux. »

Aider… Ce mot me donne envie de pleurer. Aider sous-entend que tout cela m’appartient par défaut. Que c’est ma responsabilité et que lui peut choisir d’y participer ou non. Je me sens piégée dans un rôle que je n’ai pas choisi.

Je repense à ma mère qui me disait : « Tu sais, dans un couple, il faut faire des compromis. » Mais est-ce vraiment un compromis quand l’un porte tout et l’autre choisit ?

Le lendemain matin, je me réveille avec une boule au ventre. Je prépare le petit-déjeuner pendant que Pierre se douche tranquillement. Léa renverse son bol de lait sur la table. Arthur refuse de mettre ses chaussures. Je gère tout en courant après l’horloge.

En partant travailler, je croise ma voisine, Madame Dupuis. Elle me lance un regard compatissant : « Vous avez l’air fatiguée, Camille… »

Fatiguée ? Je suis épuisée. Vidée. J’ai l’impression de disparaître un peu plus chaque jour.

Au bureau, je fais semblant d’aller bien. Mais parfois, je m’enferme aux toilettes pour pleurer en silence. Personne ne voit ce que je vis à la maison. Personne ne sait combien je rêve d’un soir où Pierre préparerait le dîner sans que j’aie à lui demander.

Un samedi matin, j’ose aborder le sujet franchement.

« Pierre, il faut qu’on parle. Je n’en peux plus de tout gérer seule. On doit se répartir les tâches équitablement. »

Il hausse les épaules : « Tu veux faire des plannings ? On n’est pas à l’usine… »

Je sens la colère monter : « Non, mais on est deux adultes responsables ! Pourquoi tu refuses de t’impliquer ? »

Il se ferme : « Tu dramatises toujours tout… »

Je me sens incomprise. J’ai l’impression de parler une langue étrangère.

Les jours passent et rien ne change vraiment. Parfois il passe l’aspirateur – rarement – mais c’est toujours moi qui pense à acheter des couches ou à prendre rendez-vous chez le dentiste pour Léa.

Un soir, alors que je couche Arthur, il me demande : « Maman, pourquoi tu cries souvent ? »

Je fonds en larmes devant lui. Comment lui expliquer que sa maman est fatiguée parce qu’elle porte trop ? Que son papa ne voit pas tout ce qu’il faudrait faire ?

Je me sens coupable de ne pas être la mère patiente et joyeuse que j’aurais voulu être.

Un dimanche soir, je décide d’écrire cette histoire ici parce que je sais que je ne suis pas seule. Parce que tant de femmes vivent la même chose en France aujourd’hui : la charge mentale qui nous écrase, l’injustice qui nous ronge et le silence qui nous isole.

Est-ce normal d’accepter cela en 2024 ? Pourquoi tant d’hommes refusent-ils encore de voir ce qui se passe sous leur propre toit ? Est-ce à nous de supplier pour obtenir un peu d’équité ?

Et vous… Comment faites-vous pour ne pas sombrer ? Est-ce qu’un jour les choses changent vraiment ?