« Je ne veux pas acheter un T3 juste pour vivre avec ma belle-mère » : mon combat pour préserver mon couple et mon identité

— Tu comprends bien, Élodie, un trois-pièces, c’est l’idéal. Comme ça, je pourrais avoir ma chambre, et vous la vôtre. On ferait des économies, et puis… je ne veux pas finir seule, tu sais.

La voix de Véronique résonne encore dans ma tête. Je serre la fourchette si fort que mes jointures blanchissent. Damien baisse les yeux sur son assiette, évitant soigneusement mon regard. Je sens la colère monter, mais aussi une tristesse profonde. Depuis deux ans, depuis que le père de Damien est parti sans prévenir, tout a changé. Véronique a perdu pied, et nous, nous avons perdu notre intimité.

Je me souviens du premier soir où Damien m’a présenté à sa mère. Elle m’a accueillie avec un sourire crispé, déjà sur la défensive. Mais après la mort de son mari, elle s’est accrochée à nous comme à une bouée de sauvetage. Au début, j’ai compris. J’ai même proposé qu’elle vienne dîner chaque dimanche. Mais aujourd’hui, elle veut vivre avec nous. Elle veut choisir l’appartement avec nous. Elle veut décider de la couleur des murs, du quartier, du nombre de pièces.

— Damien, tu ne dis rien ?

Il relève enfin la tête. Son visage est fermé, fatigué.

— Maman… Élodie et moi, on voulait un deux-pièces. Juste pour nous deux. On commence à peine notre vie ensemble…

Véronique soupire bruyamment.

— Vous êtes égoïstes ! Après tout ce que j’ai fait pour vous… Qui vous a prêté l’argent pour l’apport ? Qui vous a aidés à trouver vos premiers meubles ?

Je sens la culpabilité m’envahir. Oui, sans elle, jamais nous n’aurions pu envisager d’acheter à Lyon. Mais à quel prix ?

Les semaines passent et chaque visite d’appartement se transforme en règlement de comptes. Véronique insiste pour venir à chaque rendez-vous. Elle critique tout : « Ce salon est trop petit », « La cuisine n’est pas assez lumineuse », « Où vais-je mettre mes affaires ? »

Un soir, après une visite particulièrement éprouvante dans le 7ème arrondissement, je craque.

— Damien, je n’en peux plus ! J’ai l’impression d’étouffer… Ce n’est pas notre vie qu’on construit, c’est la sienne !

Il me prend la main.

— Je sais… Mais elle est seule. Et puis… c’est compliqué avec l’argent.

Je sens les larmes monter.

— Tu veux qu’on vive ensemble toute notre vie ? Qu’on n’ait jamais notre chez-nous ?

Il ne répond pas. Le silence s’installe entre nous comme un mur invisible.

Quelques jours plus tard, je reçois un message de ma propre mère :

« Tu as l’air fatiguée, ma chérie. Tu veux venir passer le week-end à la maison ? »

J’accepte sans réfléchir. Chez mes parents, dans leur petite maison de campagne près de Villefranche-sur-Saône, je retrouve un peu d’air. Ma mère me serre dans ses bras.

— Tu dois penser à toi aussi, Élodie. L’amour ne doit pas être un sacrifice permanent.

Ses mots résonnent en moi toute la nuit.

Le dimanche soir, je rentre à Lyon avec une décision en tête. Damien m’attend dans le salon.

— Il faut qu’on parle.

Je prends une grande inspiration.

— Je ne veux pas acheter un T3 juste pour vivre avec ta mère. Je t’aime, mais j’ai besoin d’un espace à moi, d’une vie à nous deux. Si tu ne peux pas lui dire non… alors peut-être qu’on n’est pas prêts.

Il pâlit.

— Tu me demandes de choisir ?

— Je te demande de poser des limites. Pour nous deux.

Le lendemain matin, Damien invite sa mère à prendre un café chez nous. Je sens son angoisse quand il lui explique :

— Maman, on va acheter un deux-pièces. On a besoin de commencer notre vie ensemble… rien qu’à deux.

Véronique éclate en sanglots.

— Vous m’abandonnez ! Après tout ce que j’ai fait…

Je m’approche doucement.

— Véronique… Vous serez toujours la bienvenue chez nous. Mais on a besoin d’un peu d’air pour grandir ensemble.

Elle me regarde avec une haine froide que je n’avais jamais vue dans ses yeux.

Les semaines suivantes sont glaciales. Véronique ne répond plus à nos appels. Damien est dévasté. Mais peu à peu, il comprend que c’était nécessaire.

Nous finissons par signer pour un petit deux-pièces lumineux à Monplaisir. Le jour où nous emménageons, je ressens un mélange de soulagement et de tristesse. Notre couple a survécu à cette épreuve, mais à quel prix ?

Parfois, le soir, je repense à tout ce que nous avons traversé pour avoir ce simple espace à nous.

Ai-je eu raison d’imposer cette limite ? Peut-on vraiment construire son bonheur sans blesser ceux qui nous aiment ? Qu’en pensez-vous ?