J’ai renvoyé ma femme au travail : maintenant, c’est moi qui élève seul notre fils… et je ne m’en sors pas
« Tu ne fais rien de tes journées, Claire ! » ai-je crié, la voix tremblante de fatigue et d’agacement. C’était un matin gris sur notre balcon à Lyon, et Paul hurlait dans son transat. Claire, les yeux cernés, n’a même pas répondu. Elle s’est contentée de détourner le regard, les mains serrées sur sa tasse de café froid.
Je m’appelle Julien. J’ai 35 ans, cadre dans une boîte d’assurance, et jusqu’à il y a quelques mois, je croyais tout savoir sur la vie de famille. Mais depuis la naissance de Paul, tout a basculé. Je voyais Claire s’éteindre peu à peu, passer ses journées en pyjama, la maison sens dessus dessous. Moi, je rentrais du boulot épuisé, et rien n’était prêt : ni le dîner, ni la lessive, ni même un sourire pour m’accueillir. Je me sentais trahi. N’était-ce pas son rôle de s’occuper du foyer pendant son congé maternité ?
Un soir, alors que Paul pleurait encore à 2h du matin et que Claire restait prostrée dans le lit, j’ai explosé :
— Tu dois reprendre le travail. Ça ne sert à rien que tu restes ici si c’est pour ne rien faire !
Elle m’a regardé comme si je venais de la gifler. Mais le lendemain, elle a appelé son patron et a négocié un retour anticipé. Je me suis senti soulagé… sur le moment.
Le lundi suivant, c’est moi qui ai pris le relais. Télétravail imposé par mon entreprise, j’ai cru que ce serait facile : gérer Paul entre deux réunions Zoom, préparer des purées bio, lancer une machine à laver… Après tout, comment cela pouvait-il être si compliqué ?
La première semaine a été un enfer. Paul refusait de dormir plus de vingt minutes d’affilée. Il hurlait dès que je m’éloignais pour répondre à un mail. J’ai renversé du lait sur mon clavier, oublié une réunion importante, et quand Claire rentrait le soir — épuisée par sa journée au service client — elle trouvait l’appartement dans un état pire qu’avant.
Un soir, elle est rentrée et m’a trouvé assis par terre dans la cuisine, Paul sur les genoux, tous les deux en larmes.
— Tu vois ce que c’est ? m’a-t-elle dit doucement.
J’ai voulu m’excuser mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. J’étais trop fier pour admettre que j’avais eu tort.
Les jours suivants ont été une succession de catastrophes : couches débordantes oubliées trop longtemps, rendez-vous chez le pédiatre raté parce que j’avais confondu les horaires, repas brûlés… Ma mère est venue un après-midi et m’a lancé :
— Tu as l’air épuisé, Julien. Tu veux que je t’aide ?
Mais j’ai refusé. Je voulais prouver que j’étais capable. Que ce n’était pas si difficile.
Au travail, mes collègues commençaient à remarquer mes retards et mes erreurs. Mon chef, Monsieur Lefèvre, m’a convoqué :
— Julien, tu sembles ailleurs ces derniers temps. Tu veux en parler ?
J’ai marmonné quelque chose sur la fatigue et les nuits courtes. Il a hoché la tête avec compassion — il a trois enfants lui-même — mais je sentais bien qu’il s’inquiétait pour mes performances.
À la maison, Claire et moi ne nous parlions presque plus. Elle rentrait tard, fatiguée et silencieuse. Parfois je l’entendais pleurer dans la salle de bain. Paul aussi semblait ressentir la tension : il pleurait plus souvent, refusait de manger…
Un soir d’orage, alors que je berçais Paul qui ne voulait pas dormir, j’ai craqué. J’ai appelé Claire au travail :
— Je n’y arrive pas… Je suis désolé…
Elle est rentrée en courant sous la pluie. Elle m’a pris dans ses bras sans un mot.
Ce soir-là, nous avons parlé pour la première fois depuis des semaines. Elle m’a raconté son sentiment d’inutilité pendant son congé maternité ; comment elle se sentait jugée par moi et par la société ; comment elle avait honte de ne pas être « parfaite ». Moi, j’ai avoué ma peur de ne pas être à la hauteur comme père…
Depuis ce jour-là, nous essayons d’être une équipe. Nous avons demandé de l’aide à nos familles, trouvé une place en crèche pour Paul deux jours par semaine. J’ai compris que la charge mentale ne se voit pas toujours ; qu’être parent n’est jamais simple ; qu’on peut aimer son enfant plus que tout et pourtant se sentir dépassé.
Aujourd’hui encore, il y a des jours où je me sens nul. Où je regrette mes mots durs envers Claire. Mais je sais maintenant que juger l’autre sans comprendre ce qu’il vit ne mène nulle part.
Est-ce qu’on peut vraiment réussir à être parent sans s’écouter et sans s’entraider ? Et vous… avez-vous déjà ressenti ce sentiment d’impuissance face à votre propre famille ?