J’ai perdu le contrôle au parc pour défendre ma fille : aujourd’hui, je regrette…

« Camille, viens ici tout de suite ! » Ma voix a claqué dans l’air frais du parc Monceau, coupant net les rires des enfants. Je n’ai pas reconnu ce ton, ni cette colère qui vibrait dans ma gorge. Pourtant, c’est bien moi qui venais de hurler, devant tous les parents, devant tous les enfants. Camille s’est figée, ses petites mains serrant la corde du toboggan. Elle avait trois ans à peine, ses joues encore rondes d’innocence, ses yeux écarquillés par la peur… de moi.

Tout avait commencé quelques minutes plus tôt. Camille jouait tranquillement avec sa poupée préférée – une vieille Corolle héritée de ma propre enfance – quand un garçonnet blond, Paul, s’est approché. Il devait avoir cinq ans. Sans un mot, il a arraché la poupée des bras de Camille. Elle a protesté, timidement : « Rends-la-moi, s’il te plaît… » Mais Paul a ri et s’est enfui en courant.

J’ai attendu quelques secondes, espérant que la mère du garçon intervienne. Mais elle discutait, dos tourné, avec une autre maman sur un banc. Je me suis approchée d’elle : « Excusez-moi, votre fils vient de prendre le jouet de ma fille… » Elle a haussé les épaules : « Oh, ce n’est qu’une poupée. Ils doivent apprendre à partager à cet âge-là. » Sa voix était douce mais condescendante. J’ai senti la colère monter en moi comme une vague noire.

Je suis revenue vers Camille qui pleurait en silence. J’ai posé ma main sur son épaule : « Ne t’inquiète pas, maman va régler ça. » Mais au fond de moi, je sentais déjà la honte pointer. Pourquoi étais-je si bouleversée ? Était-ce vraiment pour Camille… ou parce que je me sentais jugée par cette autre mère ?

Je me suis dirigée vers Paul qui jouait désormais avec la poupée dans le bac à sable. « Paul, rends la poupée à Camille tout de suite ! » ai-je lancé d’une voix sèche. Il m’a regardée, surpris, puis a serré la poupée contre lui. Sa mère s’est levée d’un bond : « Vous n’avez pas à parler à mon fils sur ce ton ! »

Les regards se sont tournés vers nous. J’ai senti mes joues brûler. « Il faut apprendre à respecter les affaires des autres ! » ai-je répliqué trop fort. Camille s’est mise à pleurer plus fort encore. Paul a jeté la poupée dans le sable et s’est réfugié derrière sa mère.

Le silence est tombé sur le parc. J’ai ramassé la poupée couverte de sable et je l’ai tendue à Camille qui n’osait plus me regarder. La mère de Paul m’a lancé un regard glacial : « Vous devriez apprendre à gérer vos émotions devant les enfants. » J’ai voulu répondre mais aucun mot n’est sorti.

Nous sommes parties du parc en silence. Sur le chemin du retour, Camille serrait sa poupée contre elle mais refusait de me donner la main. J’avais l’impression d’avoir tout raté : protéger ma fille, oui… mais à quel prix ?

Le soir même, autour du dîner, mon mari Julien a remarqué mon air absent : « Ça va ? Tu as l’air ailleurs… » J’ai tout raconté, la honte dans la voix. Il a soupiré : « Tu sais, parfois on veut tellement bien faire qu’on oublie que les enfants apprennent aussi en gérant eux-mêmes leurs petits conflits… Peut-être que Camille aurait pu régler ça à sa façon ? »

J’ai repensé à ma propre enfance à Lyon, aux disputes dans la cour d’école et à ma mère qui me disait toujours : « On ne peut pas toujours intervenir pour toi, il faut apprendre à te défendre seule… » Mais aujourd’hui, face à Camille si petite et fragile, j’avais voulu être son bouclier – et j’avais fini par lui faire peur.

Les jours suivants, j’ai évité le parc Monceau. Je craignais de croiser les autres parents, d’être jugée comme cette mère hystérique qui ne sait pas garder son calme. Mais surtout, j’avais peur du regard de Camille. Elle était plus distante, moins souriante. Un soir, alors que je lui lisais une histoire avant de dormir, elle m’a demandé tout bas : « Tu es fâchée contre moi ? » Mon cœur s’est brisé.

J’ai compris alors que mon emportement n’avait rien résolu – au contraire. J’avais transmis à ma fille non pas la force ou la confiance en soi… mais la peur et la honte.

Quelques semaines plus tard, j’ai croisé par hasard la mère de Paul au marché des Batignolles. Elle m’a saluée froidement mais j’ai pris mon courage à deux mains : « Je voulais m’excuser pour l’autre jour au parc… Je me suis emportée et je regrette vraiment. » Elle a haussé les épaules : « On fait toutes des erreurs… Mais nos enfants nous regardent tout le temps. »

Depuis ce jour-là, j’essaie d’accompagner Camille sans intervenir trop vite. Je l’encourage à parler elle-même quand quelque chose ne va pas. Ce n’est pas facile – l’instinct de protection est si fort ! – mais je veux qu’elle apprenne à se défendre sans avoir peur des autres… ni de moi.

Parfois je repense à cette scène au parc et je me demande : ai-je vraiment agi pour protéger ma fille… ou pour protéger mon image de mère parfaite ? Et vous, avez-vous déjà perdu le contrôle par amour pour vos enfants ? Comment avez-vous géré le regard des autres et votre propre culpabilité ?