J’ai découvert le journal de ma mère : le secret qui a brisé mon enfance

« Pourquoi tu ne peux pas être comme ton frère, Camille ? » La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, alors que je serre contre moi ce vieux cahier à la couverture élimée. Je suis assise sur le carrelage froid du grenier, la poussière me chatouille le nez, mais je n’ose pas bouger. Le journal intime de ma mère est ouvert sur mes genoux, et chaque mot que je lis me brûle un peu plus le cœur.

Depuis toujours, j’ai senti ce fossé entre elle et moi. Mon frère, Julien, l’aîné, était son soleil. Ma sœur, Claire, la petite dernière, sa lune. Moi, j’étais l’ombre entre les deux. Les repas du dimanche à la table familiale dans notre pavillon de banlieue parisienne étaient une épreuve : « Julien, tu veux encore des pommes dauphines ? Claire, tu as assez de sauce ? » Et moi ? Un regard distrait, une remarque sur mes notes ou mes vêtements. Jamais un mot doux.

Je croyais que c’était moi le problème. Que je n’étais pas assez gentille, pas assez brillante, pas assez… aimable. J’ai grandi avec cette sensation d’être un puzzle mal emboîté dans le tableau familial. J’ai tout essayé pour attirer son attention : les bonnes notes, les concours de piano, même les bêtises. Rien n’y faisait. Elle restait distante, polie mais glaciale.

Ce matin-là, alors que je rangeais les affaires de maman après son décès brutal – un AVC foudroyant qui ne lui a laissé aucune chance – je suis tombée sur ce carnet caché sous une pile de draps anciens. J’ai hésité à l’ouvrir. Est-ce qu’on a le droit de fouiller dans les secrets des morts ? Mais la tentation était trop forte.

Les premières pages sont banales : des listes de courses, des recettes de gratin dauphinois, quelques souvenirs d’enfance à Lyon. Puis, soudain, une date : « 12 mars 1992 ». Mon année de naissance. Les mots sont tremblants :

« Je n’arrive pas à aimer Camille comme j’aime Julien et Claire. Je me sens coupable. Elle me rappelle trop ce que j’ai perdu… »

Mon cœur s’arrête. Je relis la phrase dix fois. Qu’a-t-elle perdu ? Je tourne frénétiquement les pages. Les confessions s’enchaînent :

« Camille n’est pas de Paul… Je n’ai jamais osé lui dire. Cette nuit-là avec Antoine… Je croyais pouvoir oublier mais chaque fois que je regarde Camille, je revois ses yeux à lui. »

Je lâche le carnet. Mes mains tremblent. Antoine ? Un autre homme ? Mon père n’est pas mon père ?

Je me revois enfant, cherchant désespérément à comprendre pourquoi maman me repoussait alors qu’elle couvrait Julien et Claire de baisers et de câlins. Pourquoi elle ne venait jamais me border le soir. Pourquoi elle oubliait mon anniversaire ou confondait mon prénom avec celui de la voisine.

Je comprends tout d’un coup : j’étais le rappel vivant de sa faute, de sa honte. J’étais l’erreur qu’elle n’a jamais pu pardonner ni oublier.

Le choc me submerge. Je pleure longtemps dans ce grenier silencieux, entourée des souvenirs d’une famille qui n’a jamais vraiment été la mienne.

Plus tard dans la journée, je descends retrouver Julien et Claire dans la cuisine. Ils discutent calmement autour d’un café.

— Vous saviez quelque chose ?

Julien relève la tête, surpris par ma voix étranglée.

— De quoi tu parles ?

Je leur tends le carnet sans un mot. Claire pâlit en lisant les premières lignes.

— C’est pas possible… souffle-t-elle.

Julien serre les poings.

— Ça ne change rien pour nous, Camille. Tu restes notre sœur.

Mais je vois bien dans leurs yeux que tout a changé. Un malaise s’installe. Les souvenirs remontent : les disputes entre mes parents, les silences lourds à table, les regards fuyants de maman quand elle me croisait dans le couloir.

Les jours suivants sont un enfer. Je me sens étrangère dans ma propre maison. Mon père – enfin, celui que j’ai toujours appelé papa – ne saura jamais rien ; il est mort il y a cinq ans d’un cancer du poumon. Je n’ai plus personne à qui demander des explications.

Je décide alors de retrouver Antoine. Grâce à une vieille photo retrouvée dans le journal et quelques recherches sur Internet, je découvre qu’il habite toujours à Lyon. Je prends le train un matin gris de novembre, le cœur battant à tout rompre.

Quand il ouvre la porte, je reconnais tout de suite ses yeux – mes yeux – et je comprends sans qu’il ait besoin de parler.

— Camille…

Sa voix tremble d’émotion. Nous restons longtemps sans rien dire, puis il m’invite à entrer. Il m’explique son histoire avec maman, leur amour impossible, sa douleur d’avoir été écarté de ma vie.

Je repars bouleversée mais apaisée : au moins une personne voulait vraiment de moi.

Aujourd’hui, alors que je relis une dernière fois le journal de maman avant de le ranger pour toujours, je me demande : peut-on vraiment pardonner à ceux qui nous ont blessés sans le vouloir ? Est-ce que l’amour se choisit ou se subit ?

Et vous… auriez-vous eu le courage d’ouvrir ce carnet interdit ?