Il m’a abandonnée au neuvième mois de grossesse… Trois ans plus tard, il est revenu en suppliant mon pardon. Peut-on vraiment pardonner une telle trahison ?

« Tu ne comprends pas, Camille ! Je ne peux pas… Je n’y arrive pas ! »

La voix d’Antoine résonne encore dans ma tête, trois ans après. Ce matin-là, j’étais assise sur le canapé, la main posée sur mon ventre énorme, sentant les coups de ma fille qui s’impatientait de venir au monde. Antoine tournait en rond dans le salon, les yeux fuyants, la mâchoire crispée. Je savais qu’il était stressé par l’arrivée du bébé, mais jamais je n’aurais imaginé ce qui allait suivre.

« Tu vas où ? » ai-je demandé, la gorge serrée.

Il a attrapé son sac, évité mon regard et murmuré : « Je suis désolé. » Puis il a claqué la porte. Le silence qui a suivi m’a semblé durer une éternité. J’ai hurlé son nom, mais il était déjà parti. J’étais seule. Seule à Paris, sans famille proche – mes parents étant à Lyon – et sans amis assez proches pour m’accueillir à bras ouverts à ce moment-là.

Les jours suivants ont été un brouillard de larmes et d’angoisse. J’ai accouché seule à la maternité de la Pitié-Salpêtrière. Ma mère est arrivée le lendemain, bouleversée de me voir si pâle et si brisée. J’ai serré ma petite Louise contre moi comme si elle était la seule chose qui me rattachait à la vie. Peut-être l’était-elle.

Les premiers mois ont été un combat quotidien : les nuits blanches, les pleurs, les couches, les factures qui s’accumulaient. J’ai repris mon travail à mi-temps dans une petite librairie du 11ème arrondissement dès que j’ai pu. Les clientes me regardaient avec compassion quand elles voyaient Louise dormir dans son couffin derrière le comptoir. J’ai appris à sourire malgré la fatigue, à répondre « ça va » quand on me demandait comment j’allais.

Antoine ? Plus de nouvelles. Pas un message, pas un appel. Rien. Je l’ai haïe pour ça. Je l’ai haïe de m’avoir laissée tomber au moment où j’avais le plus besoin de lui.

Mais la vie continue, n’est-ce pas ? Petit à petit, j’ai trouvé une routine avec Louise. On allait au parc de Belleville tous les dimanches, on riait devant les pigeons maladroits, on partageait des crêpes au sucre sur un banc. J’ai rencontré d’autres mamans solo au square – Sophie, qui venait de divorcer ; Émilie, dont le compagnon était parti vivre à Bordeaux sans prévenir. On se soutenait comme on pouvait.

Trois ans ont passé comme ça. Louise est devenue une petite fille vive et curieuse, qui posait mille questions sur tout. Elle ne parlait jamais de son père – elle ne l’avait jamais vu. Parfois, elle me demandait pourquoi elle n’avait pas de papa comme les autres enfants à l’école maternelle. Je lui répondais que certaines familles étaient différentes, mais qu’on s’aimait très fort toutes les deux.

Et puis un soir d’automne, alors que je rentrais du travail avec Louise endormie sur mon épaule, j’ai trouvé Antoine devant ma porte. Il avait l’air fatigué, vieilli, les yeux rouges d’avoir pleuré.

« Camille… Je t’en supplie… Laisse-moi t’expliquer… »

Mon cœur s’est emballé. J’ai cru que j’allais m’évanouir. J’ai posé Louise dans son lit et je suis revenue dans l’entrée.

« Tu veux expliquer quoi ? Que tu m’as laissée seule alors que j’allais accoucher ? Que tu n’as jamais pris de nouvelles ? »

Il a baissé la tête.

« Je sais… Je suis un lâche. J’ai eu peur… Peur de ne pas être à la hauteur, peur de tout gâcher… J’ai fui parce que je croyais que tu serais mieux sans moi… Mais je n’ai jamais cessé de penser à toi… À notre fille… »

J’ai senti la colère monter en moi comme une vague brûlante.

« Tu crois que c’était facile pour moi ? Tu crois que j’avais le choix ? J’ai tout fait toute seule ! »

Il s’est mis à genoux devant moi, les mains tremblantes.

« Je t’en supplie… Donne-moi une chance de me rattraper… Laisse-moi voir Louise… »

Je ne savais plus quoi penser. Une partie de moi voulait le frapper, l’autre voulait s’effondrer dans ses bras et pleurer toutes les larmes que j’avais retenues depuis trois ans.

Les semaines suivantes ont été un tourbillon d’émotions contradictoires. Antoine a insisté pour voir Louise – d’abord quelques minutes au parc, puis un après-midi entier sous ma surveillance. Il lui a offert un livre de contes et un petit ours en peluche. Louise était méfiante au début, puis intriguée par cet homme qui lui ressemblait tant.

Ma mère m’a dit : « Tu fais ce que tu veux, mais protège-toi. On ne change pas du jour au lendemain. »

Sophie était furieuse : « Il t’a laissée tomber ! Tu lui dois rien ! »

Mais Émilie m’a confié : « Parfois, les gens changent… Mais c’est à toi de voir si tu peux lui refaire confiance. »

Je passais mes nuits à tourner en rond dans mon petit salon, à regarder Louise dormir paisiblement dans sa chambre rose pâle. Pouvais-je vraiment lui refuser le droit de connaître son père ? Mais comment lui expliquer pourquoi il était parti ? Et si Antoine recommençait ? Si je lui ouvrais la porte et qu’il disparaissait encore ?

Un soir, alors qu’Antoine venait de partir après avoir lu une histoire à Louise, il s’est arrêté sur le palier.

« Camille… Je t’aime encore. Je sais que j’ai tout gâché… Mais je veux essayer de réparer ce que j’ai brisé. »

J’ai fermé la porte sans répondre. J’avais besoin de temps. De réfléchir à ce que je voulais vraiment – pour moi, mais surtout pour Louise.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je pourrai lui pardonner un jour. Mais je sais une chose : je suis plus forte que je ne l’aurais cru. Et peut-être que c’est ça, le plus important.

Est-ce qu’on peut vraiment pardonner à celui qui nous a abandonnées quand on avait le plus besoin de lui ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?