Entre Deux Mères : Mon Cœur Écartelé par la Loyauté et l’Amour
« Tu n’es jamais là quand j’ai besoin de toi ! » La voix de ma mère résonne encore dans mon salon, aussi tranchante qu’un couteau. Je serre le combiné du téléphone, les larmes me montent aux yeux. « Maman, je fais ce que je peux… » Mais elle ne m’écoute plus. Elle raccroche, me laissant seule avec ma culpabilité.
Je m’appelle Camille. J’ai 38 ans, je vis à Lyon, et je suis prise au piège entre deux femmes qui réclament chacune une part de moi. Ma mère, Solange, a tout sacrifié pour m’élever seule après le départ de mon père. Elle a travaillé comme aide-soignante, multiplié les nuits blanches et les heures supplémentaires pour que je ne manque de rien. Je lui dois tout. Mais aujourd’hui, c’est elle qui a besoin de moi. Depuis sa retraite, elle s’est repliée sur elle-même, et chaque silence de ma part devient une trahison.
De l’autre côté, il y a ma belle-mère, Françoise. Elle n’a jamais eu d’autres enfants que mon mari, Julien. Depuis son AVC, elle ne peut plus vivre seule. Julien travaille à Paris la semaine, alors c’est moi qui m’occupe d’elle : les courses, les médicaments, les rendez-vous médicaux… Je traverse la ville en courant, un œil sur l’horloge, l’autre sur mon téléphone qui vibre sans cesse.
Un soir, alors que je prépare la soupe de Françoise, ma mère m’appelle en pleurs : « J’ai fait une chute, Camille… J’ai mal partout… » Je laisse tout en plan et fonce chez elle. Sur place, je découvre qu’elle n’a rien de grave, mais son regard me transperce : « Tu n’étais pas là. »
Les semaines passent, et la tension monte. Julien me reproche de délaisser notre couple. Ma fille, Léa, 10 ans, me demande pourquoi je suis toujours fatiguée. Je me sens comme un funambule sur un fil trop mince. Un matin, à la boulangerie, je croise une voisine : « Tu tiens le coup ? On te voit courir partout… » Je souris faiblement. Personne ne sait ce que c’est que d’être écartelée ainsi.
Un dimanche, tout explose. Ma mère débarque chez moi sans prévenir. Elle trouve Françoise installée dans le salon, une couverture sur les genoux. « Alors c’est ici que tu passes tout ton temps ? » lance-t-elle, glaciale. Je tente de désamorcer : « Maman, Françoise est malade, elle a besoin d’aide… » Mais elle coupe : « Et moi ? Je compte pour du beurre ? »
Françoise baisse les yeux. Le silence est lourd. Léa s’enfuit dans sa chambre. Julien rentre à ce moment-là et découvre la scène. « Camille fait ce qu’elle peut ! » s’emporte-t-il. Ma mère éclate : « Tu ne comprends rien ! Elle est ma fille, pas la tienne ! »
Je me mets à crier à mon tour : « Arrêtez ! Je ne peux pas être partout ! » Les larmes coulent. Je sors sur le balcon, suffoquée. Les voisins doivent tout entendre, mais à cet instant, je m’en fiche.
Le lendemain, ma mère ne répond plus à mes appels. Françoise s’excuse timidement : « Je ne veux pas te voler à ta mère… » Je la rassure, mais au fond de moi, je sens la colère monter. Pourquoi est-ce toujours aux femmes de tout porter ? Pourquoi dois-je choisir entre celle qui m’a donné la vie et celle qui m’a accueillie comme sa fille ?
Je consulte une psychologue. Elle me dit : « Camille, il faut poser des limites. Vous n’êtes pas responsable du bonheur de tout le monde. » Mais comment faire ? Si je lâche l’une, je trahis l’autre. Si je pense à moi, je suis égoïste.
Un soir, Léa me tend un dessin : trois femmes se tiennent la main. « C’est toi, mamie Solange et mamie Françoise. » Je fonds en larmes. Mon cœur est en morceaux.
Je décide alors d’organiser un déjeuner avec les deux mères. Autour de la table, l’ambiance est tendue. Je prends la parole : « Je vous aime toutes les deux. Mais je ne peux pas me couper en deux. J’ai besoin que vous m’aidiez à trouver un équilibre. » Solange détourne le regard. Françoise hoche la tête. Le repas est silencieux, mais quelque chose a changé.
Petit à petit, les choses s’apaisent. Ma mère accepte de voir une assistante sociale pour rompre sa solitude. Françoise accepte une aide-ménagère. Je retrouve un peu d’air, même si la culpabilité ne me quitte jamais vraiment.
Aujourd’hui encore, je me demande : peut-on aimer sans se perdre ? Est-ce trahir que de vouloir vivre pour soi ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?