Accouchement imprévu : Mon combat pour la vie et ma famille
« Madame Lefèvre, il faut vous préparer, nous allons devoir agir tout de suite. »
La voix du docteur Morel résonne encore dans ma tête, froide et urgente, alors que je m’accroche à la main de mon mari, Julien. Je sens la sueur perler sur mon front, mes jambes tremblent. Nous sommes le 14 février, jour de la Saint-Valentin, et jamais je n’aurais imaginé que cette journée marquerait à ce point ma vie.
Tout avait commencé comme un matin ordinaire à Nantes. J’avais préparé le petit-déjeuner pour mon fils aîné, Lucas, en plaisantant avec Julien sur le prénom de notre future fille. Je devais simplement passer à la maternité pour un contrôle de routine – j’étais à 36 semaines, fatiguée mais sereine. Mais dès l’examen, le visage de la sage-femme s’est fermé. « Le rythme cardiaque du bébé est irrégulier… Je vais chercher le médecin. »
En quelques minutes, tout s’est emballé. On m’a installée sous monitoring, des infirmières entraient et sortaient, murmurant entre elles. Julien tentait de me rassurer, mais je voyais bien qu’il était aussi perdu que moi. Puis le docteur Morel est arrivé, grave : « Madame Lefèvre, il y a un problème avec le placenta. Il faut pratiquer une césarienne d’urgence. »
Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. On m’a emmenée au bloc, j’ai senti l’angoisse monter comme une vague noire. J’ai pensé à Lucas, à ma mère qui devait venir garder la maison ce soir-là, à tout ce que je n’avais pas eu le temps de préparer. J’ai pleuré en silence alors qu’on m’installait sur la table d’opération.
La lumière crue du bloc opératoire me brûlait les yeux. J’entendais les voix des médecins, rapides et techniques. Puis soudain, un cri faible – celui de ma fille. Mais il y avait quelque chose qui clochait : elle ne pleurait pas vraiment. Je n’ai pas pu la voir tout de suite ; on l’a emmenée en réanimation néonatale sans même me la montrer.
Julien est resté avec moi, blême. « Ils font tout ce qu’ils peuvent… » murmurait-il, mais je voyais ses mains trembler. Les heures suivantes furent un flou douloureux : on m’a recousue, transférée en salle de réveil, puis laissée seule avec mes pensées et une peur viscérale qui me rongeait.
Quand enfin on m’a autorisée à voir ma fille, elle était minuscule dans son incubateur, branchée à des machines qui bipaient sans cesse. Une infirmière m’a expliqué qu’elle avait manqué d’oxygène à la naissance et qu’il fallait attendre pour savoir si elle garderait des séquelles.
Les jours suivants ont été un enfer. Entre les visites à la néonat’, les allers-retours avec Lucas qui ne comprenait pas pourquoi sa petite sœur ne rentrait pas à la maison, et les nuits blanches à pleurer dans ma chambre d’hôpital, j’ai cru sombrer. Ma mère essayait de m’aider mais nos conversations tournaient vite au vinaigre :
— Tu dois être forte pour tes enfants, Camille !
— Mais comment tu veux que je sois forte ?! Je n’arrive même pas à tenir debout…
Julien faisait ce qu’il pouvait mais je sentais qu’il s’éloignait, lui aussi submergé par l’angoisse et la fatigue. Nous nous disputions pour des broutilles :
— Tu aurais dû insister pour qu’on vienne plus tôt à l’hôpital !
— Et toi ? Tu n’as rien vu non plus !
La culpabilité me rongeait. J’avais l’impression d’avoir failli à mon rôle de mère avant même d’avoir commencé. Les médecins étaient prudents dans leurs réponses : « Il faut attendre… chaque jour compte… »
Au bout de deux semaines interminables, on a enfin pu ramener notre fille à la maison. Nous l’avons appelée Manon – un prénom doux pour conjurer la violence de son arrivée au monde. Mais rien n’était simple : Manon pleurait beaucoup, dormait peu, et chaque petit bruit me faisait craindre le pire.
Les mois ont passé dans une tension permanente. Les rendez-vous médicaux s’enchaînaient ; chaque sourire de Manon était une victoire mais aussi une source d’angoisse : allait-elle se développer normalement ? Lucas réclamait de l’attention mais je n’avais plus d’énergie pour jouer avec lui comme avant.
Un soir d’automne, alors que Manon dormait enfin paisiblement, j’ai craqué devant Julien :
— Je n’y arrive plus… J’ai l’impression d’avoir tout raté.
— Tu fais ce que tu peux, Camille. Personne ne t’en veut.
— Et si j’avais fait attention aux signes ? Si j’étais venue plus tôt ?
Il m’a prise dans ses bras et nous avons pleuré ensemble pour la première fois depuis des mois.
Aujourd’hui, Manon a deux ans. Elle court partout dans l’appartement, rit aux éclats avec Lucas et nous fait oublier les premiers mois si sombres. Mais parfois, la peur revient sans prévenir – un cauchemar, une visite médicale stressante… Et toujours cette question lancinante : aurais-je pu éviter tout ça ?
Est-ce que d’autres mères ressentent cette culpabilité ? Est-ce qu’on finit par s’en libérer un jour ?