« Quand tout s’effondre : comment ma famille m’a abandonnée quand mon fils est tombé malade »
« Tu n’aurais pas dû faire d’enfant si jeune, Camille. »
La voix de ma mère résonne dans la cuisine, froide, tranchante comme un couteau. Je serre mon mug de café, mes mains tremblent. Mon fils, Louis, dort à l’étage, branché à sa machine qui surveille son souffle. Il n’a que huit mois. Huit mois, et déjà la vie lui a arraché la santé.
Je me revois, il y a un an à peine, riant avec Paul, mon mari, dans notre petit appartement de Nantes. Nous avions tout : l’amour, des amis, une famille soudée. J’étais enceinte, et chaque matin, je caressais mon ventre en rêvant à notre avenir. Louis est né un matin de mai, fort et beau. Les premiers jours, tout le monde venait : mes parents, mon frère Julien, nos amis d’enfance, même la voisine du dessus. On riait, on s’extasiait devant ses petits doigts, ses yeux clairs.
Mais quatre mois plus tard, tout a basculé. Louis a commencé à respirer bizarrement. Il pleurait sans cesse, refusait de manger. Les médecins ont parlé d’une maladie rare, un nom compliqué que je n’arrivais même pas à prononcer. Paul a serré ma main, mais je sentais déjà qu’il s’éloignait. Les nuits à l’hôpital, les examens, les pleurs…
Un soir, alors que je rentrais de l’hôpital, Paul m’attendait dans le salon. Il avait les yeux rouges. « Je n’y arrive plus, Camille. Je ne peux pas vivre comme ça. » Il est parti le lendemain, sans un regard pour Louis. J’ai cru mourir. Mais il fallait tenir, pour mon fils.
J’ai appelé ma mère. Elle est venue, mais son visage était fermé. « Tu sais, si tu avais continué tes études, tu n’en serais pas là. Tu aurais un vrai travail, de quoi payer les soins. » Mon père, lui, ne disait rien. Il regardait la télé, comme si tout cela ne le concernait pas. Julien, mon frère, a cessé de répondre à mes messages. Il avait sa vie, ses projets. Mes amis ? Ils ont disparu, un à un. Trop de tristesse, trop de gêne. On ne sait jamais quoi dire à une mère dont l’enfant est malade.
J’ai tout essayé. Les aides sociales, les associations, les forums de mamans. Mais chaque fois que je demandais de l’aide, je sentais le jugement. « Tu es jeune, tu n’as pas de diplôme, tu n’as pas de mari… » Comme si j’avais choisi cette vie. Comme si aimer mon fils n’était pas suffisant.
Les journées sont longues. Je me lève à six heures, je prépare les médicaments, je surveille la machine. Je chante des chansons à Louis, même quand j’ai envie de pleurer. Parfois, je m’assois devant la fenêtre et je regarde les gens passer, libres, insouciants. Je me demande si quelqu’un pense à moi, à nous.
Un soir, alors que je n’en pouvais plus, j’ai appelé ma mère. « Maman, j’ai besoin de toi. » Elle a soupiré. « Camille, tu dois apprendre à te débrouiller. On ne peut pas toujours être là pour toi. » J’ai raccroché. J’ai pleuré toute la nuit.
Mais il y a eu des petits miracles. Une infirmière, Sophie, qui m’a prise dans ses bras quand j’ai craqué. Une voisine, Madame Lefèvre, qui m’a apporté une tarte aux pommes. Un inconnu sur un forum qui m’a écrit : « Tu es plus forte que tu ne le crois. »
Aujourd’hui, Louis a un an. Il ne marche pas encore, il ne parle pas, mais il sourit. Son sourire est ma lumière. Je travaille à mi-temps dans une boulangerie, je cours partout, je me bats avec la CAF pour obtenir des aides. Je suis fatiguée, mais je tiens debout.
Parfois, je croise Paul dans la rue. Il baisse les yeux. Ma mère m’appelle de temps en temps, pour demander des nouvelles du petit, jamais de moi. Julien a eu un bébé, il ne m’a pas invitée à la naissance.
Je me demande souvent : pourquoi la maladie fait-elle fuir ceux qu’on aime ? Pourquoi est-ce si difficile d’aider, d’écouter, de tendre la main ? Est-ce que j’ai tout raté parce que j’ai choisi d’être mère ?
Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce que la famille doit tout pardonner, tout soutenir ? Ou bien chacun doit-il vivre pour soi ?