Quand mon fils et sa femme ont envahi mon appartement : comment j’ai perdu ma place chez moi

— Maman, tu peux nous héberger quelques semaines ? Juste le temps qu’on trouve un autre appartement. On vient de se faire expulser, et avec l’agence c’est le chaos…

La voix de Paul, mon fils unique, tremblait à l’autre bout du fil. J’ai senti son angoisse, et sans réfléchir, j’ai répondu oui. Après tout, j’avais deux pièces, et depuis la mort de Gérard, mon mari, la solitude me pesait. Je n’imaginais pas que ce « quelques semaines » allait bouleverser ma vie.

Ils sont arrivés un dimanche soir, Valérie et lui, les bras chargés de cartons et de sacs. Dès l’entrée, Valérie a poussé un soupir :

— On va devoir s’organiser… C’est petit ici.

J’ai souri, un peu gênée. Mon appartement du 11e arrondissement n’était pas immense, mais il avait toujours suffi à mon bonheur. Je leur ai laissé ma chambre, gardant le petit salon pour moi. J’ai installé un matelas au sol, entre la table basse et la bibliothèque.

Les premiers jours, j’ai voulu croire que tout irait bien. Paul m’embrassait chaque matin avant de partir à son travail d’informaticien. Valérie, elle, restait à la maison à chercher des annonces sur son ordinateur portable. Mais très vite, les tensions sont apparues.

— Tu pourrais éviter de laisser traîner tes affaires dans le salon ? m’a-t-elle lancé un matin.

Je me suis sentie humiliée. Chez moi, je devais maintenant faire attention à ne pas déranger. Je n’osais plus écouter la radio le matin ni inviter mes amies pour un café.

Un soir, alors que je rentrais des courses, j’ai surpris une conversation derrière la porte fermée de ma chambre :

— Ta mère est gentille mais… elle nous étouffe un peu, non ?
— Elle fait ce qu’elle peut… On n’a pas le choix.

J’ai eu envie de pleurer. J’ai posé les sacs dans la cuisine et je me suis enfermée dans la salle de bains pour étouffer mes sanglots. Comment avais-je pu devenir un fardeau dans mon propre foyer ?

Les jours ont passé. Les cartons de Paul et Valérie prenaient toute la place. Je ne retrouvais plus mes livres ni mes photos. Un matin, j’ai découvert que Valérie avait déplacé mes plantes pour installer son ordinateur près de la fenêtre.

— Elles prenaient trop de place, m’a-t-elle expliqué sans un mot d’excuse.

Je me suis tue. J’avais peur de faire des histoires. Paul rentrait tard, fatigué, et je ne voulais pas lui ajouter des soucis.

Mais la situation empirait. Valérie s’agaçait du bruit de mes casseroles ou de ma façon de plier le linge. Un soir, elle a éclaté :

— On ne peut pas vivre comme ça ! Il faut vraiment qu’on trouve vite autre chose.

Paul a tenté d’apaiser les choses :

— Maman fait déjà beaucoup pour nous…

Mais je voyais bien qu’il était mal à l’aise. Il évitait mon regard. J’ai compris que je n’étais plus chez moi.

Un dimanche matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Valérie est entrée dans la cuisine :

— Tu pourrais éviter de faire du bruit si tôt ? On aimerait dormir un peu le week-end.

J’ai serré la cafetière entre mes mains tremblantes. J’ai voulu répondre, crier même, mais aucun son n’est sorti. Je me suis sentie invisible.

Les semaines sont devenues des mois. L’agence immobilière ne rappelait pas. Les visites d’appartements échouaient les unes après les autres. Paul et Valérie s’installaient peu à peu : ils avaient accroché leurs manteaux dans mon entrée, rangé leurs chaussures dans mon placard.

Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres, j’ai surpris Paul assis seul dans la cuisine.

— Tu vas bien ? ai-je demandé doucement.

Il a haussé les épaules :

— Je suis désolé maman… On ne pensait pas rester aussi longtemps.

J’ai posé ma main sur la sienne :

— Ce n’est pas ta faute… Mais tu sais, parfois j’ai l’impression d’être une étrangère ici.

Il a baissé les yeux. Un silence lourd s’est installé entre nous.

Quelques jours plus tard, Valérie a proposé :

— Peut-être que tu pourrais aller chez ta sœur à Lyon quelques temps ? Ça nous laisserait plus d’espace pour les visites d’appartements…

J’ai senti une colère sourde monter en moi. C’était donc ça ? On voulait me chasser de chez moi ?

Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai repensé à toutes ces années où j’avais tout donné pour Paul : les nuits blanches quand il était malade, les sacrifices pour payer ses études… Et aujourd’hui, il ne savait même plus comment me regarder en face.

Le lendemain matin, j’ai pris une décision. J’ai appelé ma sœur Jeanne à Lyon.

— Tu as une petite place pour moi quelques jours ?
— Bien sûr ! Mais tout va bien ?

J’ai menti :

— Oui, j’ai juste besoin de changer d’air.

J’ai fait ma valise en silence. Paul m’a embrassée sur le front sans oser me regarder dans les yeux. Valérie m’a remerciée du bout des lèvres.

Dans le train vers Lyon, j’ai regardé défiler les paysages gris d’automne et j’ai senti une immense tristesse m’envahir. Comment en étions-nous arrivés là ? Est-ce ça, vieillir en France aujourd’hui — devoir céder sa place même chez soi ?

Et vous… auriez-vous accepté cette situation ? Jusqu’où iriez-vous par amour pour vos enfants ?