Quand Maman m’a appelée pour dire que la famille débarquait : cette fois, j’ai choisi une autre voie
« Camille, tu peux venir ce week-end ? Les cousins de Bordeaux arrivent, et Mamie compte sur toi pour l’aider à préparer le repas. »
La voix de maman résonne dans mon oreille, douce mais ferme, comme un ordre déguisé en demande. Je regarde par la fenêtre de mon studio à Lyon, le tram qui passe, la pluie qui tombe sur les toits gris. Mon cœur se serre. Encore une fois, je vais devoir retourner à Saint-Julien-sur-Loire, ce village où l’air sent la terre mouillée et où chaque silence pèse comme un secret de famille.
« Tu sais bien que je n’aime pas… »
« Camille, s’il te plaît. Pour Mamie. »
Je soupire. Je n’ai jamais su dire non à maman. Mais cette fois, je sens une colère sourde monter en moi. Pourquoi est-ce toujours à moi de revenir ? Pourquoi mes frères, Paul et Antoine, trouvent-ils toujours une excuse pour rester à Paris ? Pourquoi suis-je la seule à devoir jouer la fille modèle ?
Le vendredi soir, je prends le TER, mon sac sur les genoux, le ventre noué. À l’arrivée, l’odeur du feu de bois me saute au visage. Maman m’attend sur le quai, son sourire fatigué et ses bras ouverts. Je me laisse enlacer, mais je sens déjà l’étau des habitudes se refermer.
À la maison, tout est prêt : les nappes brodées de Mamie, les assiettes en porcelaine, le gigot qui marine dans la cuisine. Je croise le regard de mon père, silencieux comme toujours, qui me fait un signe de tête avant de retourner à son journal.
Le lendemain matin, la maison s’anime. Les cousins débarquent en riant fort, leurs enfants courent partout. Ma tante Sylvie me serre contre elle :
« Alors Camille, toujours célibataire ? Tu sais que tu devrais penser à t’installer ici, on manque de jeunes dans le coin ! »
Je souris jaune. Toujours les mêmes remarques. Toujours cette impression d’être une étrangère chez moi.
Mais cette fois, je décide de ne pas fuir. Je prends une grande inspiration et je réponds :
« Non Sylvie, je ne compte pas revenir vivre ici. J’aime ma vie à Lyon. Et puis… célibataire ou pas, je suis heureuse comme ça. »
Un silence gênant s’installe. Mamie toussote. Maman me lance un regard inquiet. Mais au fond de moi, je sens une petite victoire.
Le repas commence. Les discussions tournent vite autour des sujets habituels : la météo, les récoltes, les voisins qui divorcent. Paul et Antoine arrivent en retard, comme d’habitude, et s’installent sans un mot d’excuse. Je les observe : ils sont à l’aise, détendus, comme si tout leur était dû.
Au dessert, Mamie pose sa main sur la mienne :
« Tu sais Camille, j’ai toujours su que tu étais différente. Mais tu restes ma petite-fille. »
Je sens mes yeux piquer. Je voudrais lui dire que je me sens étrangère partout : trop citadine ici, trop campagnarde en ville. Que je n’arrive pas à trouver ma place.
Après le repas, alors que tout le monde s’installe devant la télé pour regarder un vieux film français, je sors prendre l’air. Le jardin est silencieux sous la lune. J’entends des éclats de voix dans la cuisine :
« Elle a changé Camille… Tu trouves pas qu’elle est froide ? »
C’est ma tante Sylvie qui parle. Maman répond doucement :
« Elle a le droit d’être elle-même… On lui en demande beaucoup. »
Je retiens mes larmes. J’ai envie de crier que je fais de mon mieux.
Le lendemain matin, alors que tout le monde dort encore, Mamie me rejoint dans la cuisine.
« Tu sais Camille… Moi aussi j’ai voulu partir quand j’étais jeune. Mais j’ai eu peur. Toi tu as eu le courage de le faire. Tu devrais être fière de toi. »
Je la regarde, bouleversée. Je n’avais jamais imaginé Mamie autrement qu’ici, dans cette maison pleine d’odeurs et de souvenirs.
Quand vient l’heure du départ, maman me serre fort contre elle.
« Merci d’être venue ma chérie… Même si c’est difficile pour toi. »
Dans le train du retour, je regarde défiler les champs par la fenêtre et je repense à tout ce qui a été dit – ou tu – ce week-end-là.
Pourquoi est-ce si difficile d’être soi-même en famille ? Pourquoi faut-il toujours choisir entre nos racines et nos rêves ? Est-ce qu’on peut vraiment appartenir à deux mondes à la fois ?