Quand l’amour s’efface : Mon mariage avec Laurent et les signes que j’ai ignorés

« Tu pourrais au moins me regarder quand je te parle ! » Ma voix tremblait, résonnant dans la cuisine silencieuse. Laurent, assis à la table, les yeux rivés sur son téléphone, haussa à peine les épaules. « J’écoute, c’est bon. » Cette phrase, je l’avais entendue mille fois. Mais ce soir-là, elle me transperça comme jamais.

Je m’appelle Claire. J’ai 42 ans, deux enfants, et j’habite à Tours. Mon histoire n’a rien d’exceptionnel, mais elle est celle de tant de femmes en France. J’ai rencontré Laurent à la fac. Il était drôle, brillant, un peu mystérieux. Je suis tombée amoureuse de son sourire en coin et de sa façon de parler de littérature comme s’il avait tout lu. On s’est mariés jeunes, trop jeunes peut-être. Au début, tout semblait possible.

Mais très vite, les premiers signes sont apparus. Des silences qui s’étiraient après les disputes. Des anniversaires oubliés. Des regards absents lors des repas de famille. Je me disais que c’était le stress du travail, la fatigue, la routine. Ma mère me répétait : « Les hommes sont comme ça, Claire. Il faut être patiente. » Alors j’ai attendu.

Les années ont passé. Nos enfants, Camille et Hugo, ont grandi dans une maison où l’on ne criait pas, mais où l’on ne riait plus non plus. Laurent rentrait tard du bureau, prétextant des dossiers urgents à finir. Le week-end, il s’enfermait dans le garage ou partait faire du vélo avec ses amis. Je me suis retrouvée seule à gérer les devoirs, les rendez-vous chez le médecin, les anniversaires à organiser.

Un soir d’hiver, alors que je préparais un gratin dauphinois – son plat préféré –, il est rentré sans un mot et a filé sous la douche. J’ai dressé la table pour deux, espérant un moment à partager. Il a mangé en silence, puis s’est levé : « Je vais me coucher, je suis crevé. » J’ai senti mes larmes monter mais je les ai ravales. Encore une fois.

J’ai commencé à douter de moi. Peut-être que je n’étais pas assez intéressante ? Pas assez belle ? J’ai changé de coupe de cheveux, acheté de la lingerie fine, proposé des sorties en amoureux… Rien n’y faisait. Il restait distant, froid, presque étranger.

Un jour, ma sœur Sophie est venue me voir. Elle a posé sa main sur la mienne : « Claire, tu ne peux pas continuer comme ça… Tu mérites mieux que cette indifférence. » J’ai haussé les épaules : « Ce n’est pas si grave… On a une maison, des enfants… » Mais au fond de moi, je savais qu’elle avait raison.

Les disputes sont devenues plus fréquentes. Pour des broutilles : une chaussette qui traîne, un mot mal placé devant les enfants. Parfois il me lançait : « Tu dramatises tout ! » ou « Tu veux toujours avoir raison ! » Je me suis surprise à crier, à pleurer devant lui – sans jamais obtenir autre chose qu’un regard vide ou un soupir excédé.

La famille de Laurent n’aidait pas. Sa mère me reprochait de ne pas être assez présente lors des repas dominicaux : « Tu travailles trop, Claire… Les enfants ont besoin de leur mère ! » Son père me lançait des piques sur la façon dont je tenais la maison. J’avais l’impression d’être jugée en permanence.

Un soir d’été, alors que nous étions invités chez des amis à Amboise, j’ai surpris Laurent en train de rire aux éclats avec une collègue de travail. Il ne m’avait jamais regardée ainsi depuis des années. Sur le chemin du retour, j’ai osé lui demander : « Tu es heureux avec moi ? » Il a haussé les épaules : « Je ne sais pas… On fait ce qu’on peut… »

C’est là que j’ai compris : il ne m’aimait plus – ou peut-être ne m’avait-il jamais aimée vraiment. J’ai repensé à tous ces signes que j’avais ignorés : son absence émotionnelle, ses silences, son manque d’attention… J’avais voulu croire que l’amour pouvait naître avec le temps ou revenir par miracle.

J’ai commencé à écrire dans un carnet chaque moment où je me sentais seule à deux. Les pages se sont noircies rapidement : Noël passé chacun de notre côté du canapé ; vacances en Bretagne où il passait ses journées sur son vélo pendant que je promenais les enfants ; anniversaires où il m’offrait des cadeaux impersonnels achetés à la dernière minute.

Un matin, alors que je déposais Hugo à l’école, il m’a demandé : « Maman, pourquoi tu souris jamais quand papa est là ? » Cette question m’a bouleversée. Je ne voulais pas que mes enfants grandissent en croyant que l’amour c’est ça : une habitude triste et sans tendresse.

J’ai pris rendez-vous chez une psychologue. Elle m’a dit : « Vous avez le droit d’exister pour vous-même, Claire. » Ces mots ont résonné longtemps en moi.

J’ai fini par parler à Laurent : « Je ne peux plus continuer comme ça… Je veux qu’on se sépare. » Il n’a pas protesté. Il a juste dit : « Si c’est ce que tu veux… »

Aujourd’hui, cela fait un an que nous sommes séparés. Les enfants vont bien – mieux même. J’ai retrouvé le goût des petites choses : un café en terrasse avec Sophie, une balade sur les bords de Loire… Parfois la solitude me pèse encore mais elle est moins lourde que celle que je vivais à deux.

Je repense souvent à toutes ces années perdues à attendre qu’il m’aime enfin comme dans les romans ou les films français que j’adorais adolescente. Mais la réalité est bien différente.

Combien sommes-nous à vivre dans cette illusion ? À attendre qu’un regard change ou qu’un cœur s’ouvre ? Et vous… avez-vous déjà fermé les yeux sur l’évidence par peur d’être seul(e) ?