Quand l’amitié vacille : Mon fils, son obsession, et la rupture inattendue
« Mais enfin, Camille, tu ne trouves pas que c’est un peu trop ? » La voix de mon mari, Paul, résonnait dans le salon, tranchante comme une lame. Je venais de raccrocher avec Camille, encore une fois. Elle voulait passer « juste cinq minutes » pour voir Arthur, mon fils de trois ans. C’était la quatrième fois cette semaine. Paul s’est levé brusquement du canapé, son visage crispé par la fatigue et l’agacement. « Elle ne peut pas jouer toute seule ou regarder des dessins animés ? On n’a plus une minute à nous ! »
Je me suis sentie prise au piège, déchirée entre la loyauté envers ma meilleure amie et la paix de mon foyer. Camille et moi, c’était une histoire vieille de vingt ans. On s’était connues sur les bancs du lycée à Nantes, inséparables depuis. Mais depuis qu’elle avait accouché de sa petite Léa il y a six mois, quelque chose avait changé. Elle semblait obsédée par Arthur, comme si elle voulait s’approprier chaque instant de sa vie. Je n’avais rien vu venir.
Tout a commencé doucement. Des photos d’Arthur sur son Instagram, des stories où elle le filmait en train de jouer au parc, des commentaires attendris sous chacune de mes publications. Au début, j’ai trouvé ça mignon. Mais un matin, en ouvrant Facebook, j’ai eu un choc : sa photo de profil était une photo d’Arthur, prise lors de son anniversaire. Sur WhatsApp, pareil. Sur Messenger aussi. J’ai senti un frisson d’inquiétude me parcourir l’échine.
J’ai tenté d’en parler à Paul. Il m’a regardée avec lassitude : « Tu sais bien qu’elle est fragile depuis la naissance de Léa… Elle se sent seule, c’est tout. » Mais je voyais bien que ça le dérangeait. Il n’osait plus sortir du salon quand Camille venait, de peur de tomber sur elle en train de filmer Arthur ou de lui demander un câlin. Un soir, il a craqué : « Je ne supporte plus qu’elle soit toujours là ! On dirait qu’on vit à trois… »
Je me suis alors souvenue de ce jour où tout a basculé. C’était un samedi pluvieux de novembre. Camille est arrivée sans prévenir, trempée jusqu’aux os, Léa dans les bras. Elle a posé son bébé dans le couffin et s’est précipitée vers Arthur : « Mon chéri ! Viens faire un câlin à tata Camille ! » Arthur s’est recroquevillé derrière moi, mal à l’aise. Paul a levé les yeux au ciel et a quitté la pièce sans un mot.
Après son départ, j’ai reçu une avalanche de messages :
— Tu trouves qu’Arthur m’évite ?
— Il ne m’aime plus ?
— Je fais tout pour lui faire plaisir…
Je ne savais plus quoi répondre. J’étais épuisée par ses attentes, ses jalousies à peine voilées envers Léa (« Tu vois, il préfère jouer avec moi qu’avec sa petite cousine ! »), ses reproches quand je refusais une visite (« Tu as changé depuis que tu es maman… »).
Un soir, alors que je berçais Arthur pour l’endormir, Paul est venu s’asseoir à côté de moi.
— Il faut que tu lui parles sérieusement, m’a-t-il soufflé.
— Et si elle le prenait mal ?
— Et si on finissait par se séparer à cause d’elle ?
Cette phrase m’a glacée. Jamais je n’aurais imaginé que Camille puisse devenir un problème dans mon couple.
J’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai invitée à prendre un café chez moi, sans les enfants. Dès qu’elle est arrivée, j’ai senti sa nervosité.
— Tu vas bien ?
— Oui… Enfin non. J’ai l’impression que tu m’évites.
J’ai inspiré profondément.
— Camille, il faut qu’on parle. Je t’aime beaucoup mais… tu es trop présente dans notre vie. Arthur a besoin d’espace, Paul aussi… et moi aussi.
Elle a blêmi.
— Tu me reproches d’aimer ton fils ?
— Non… Mais tu t’oublies toi-même. Tu passes plus de temps avec lui qu’avec ta propre fille.
Elle a éclaté en sanglots.
— Je n’y arrive pas avec Léa ! Je me sens nulle comme mère… Avec Arthur c’est facile, il sourit toujours… Léa pleure tout le temps…
Je me suis sentie coupable d’avoir jugé sans comprendre. Mais je ne pouvais pas ignorer la souffrance de ma famille non plus.
— Tu as besoin d’aide, Camille. Pas d’Arthur.
Elle est partie sans un mot de plus.
Les semaines suivantes ont été un silence glacial. Plus de messages, plus de visites impromptues. J’ai appris par une amie commune qu’elle avait commencé une thérapie. J’étais soulagée mais aussi triste : notre amitié avait pris un coup dont elle ne se relèverait peut-être jamais.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je été trop dure ? Aurais-je dû voir plus tôt sa détresse ? Ou bien fallait-il protéger ma famille avant tout ?
Est-ce que l’amitié peut survivre à l’envahissement et à la jalousie ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?