Quand la gentillesse du voisin devient un poison : Mon histoire d’un cadeau inattendu
« Tu as encore reçu des fleurs, Camille ? » La voix d’Antoine résonne dans l’entrée, sèche, tranchante comme un couteau. Je serre le bouquet contre moi, gênée. Oui, encore. Des pivoines cette fois, mes préférées. Je n’ose pas croiser son regard.
Tout a commencé il y a trois mois, un matin pluvieux de mars. J’étais sortie jeter les poubelles quand Luc, notre voisin du deuxième étage, m’a abordée sous son parapluie. « Vous aimez le chocolat noir ? » m’a-t-il demandé en me tendant une tablette soigneusement emballée. J’ai ri, un peu surprise par sa gentillesse. Luc est veuf depuis deux ans, discret, toujours prêt à rendre service dans l’immeuble. J’ai accepté le chocolat, pensant à une simple marque de sympathie.
Mais les cadeaux se sont multipliés. Un bouquet de tulipes sur mon paillasson, puis une boîte de macarons déposée dans ma boîte aux lettres. Au début, j’ai trouvé ça touchant. J’en parlais à Antoine en plaisantant : « Luc veut sûrement s’assurer qu’on ne manque jamais de sucre ! » Mais Antoine n’a pas ri. Il a haussé les épaules, puis s’est renfrogné au fil des semaines.
Un soir, alors que je préparais le dîner, Antoine a posé brutalement la question : « Tu lui as donné ton numéro ? » J’ai failli laisser tomber la casserole. « Bien sûr que non ! Il est juste… gentil. » Mais dans ses yeux, je n’ai vu que le doute.
La tension s’est installée chez nous comme une brume épaisse. Antoine est devenu irritable, jaloux, méfiant. Il surveillait la fenêtre du salon, guettant chaque mouvement dans la cour. Moi, je me sentais coupable sans raison. J’ai commencé à éviter Luc dans l’escalier, à rentrer plus vite des courses.
Un dimanche matin, alors que nous prenions le petit-déjeuner en silence, la sonnette a retenti. C’était Luc, un sourire timide aux lèvres et un énorme bouquet de roses blanches dans les bras. « Pour vous remercier de votre gentillesse », a-t-il dit en me tendant les fleurs. Antoine s’est levé d’un bond :
— Ça suffit maintenant ! Vous croyez quoi ? Que ma femme est seule ?
Luc a reculé, déconcerté. Moi, j’étais pétrifiée. Il a bredouillé une excuse et s’est éclipsé dans l’escalier.
Après cet épisode, tout a empiré. Antoine ne me parlait presque plus. Il passait ses soirées devant la télé ou sortait sans prévenir. Je me suis retrouvée seule avec mes questions : avais-je encouragé Luc sans m’en rendre compte ? Où était la limite entre la gentillesse et l’intrusion ?
Un soir d’avril, alors que j’arrosais les plantes sur le balcon, Luc est apparu sur le sien, juste en face.
— Je suis désolé si j’ai causé des problèmes… Je voulais juste être aimable.
Sa voix tremblait. J’ai senti une boule dans ma gorge.
— Je comprends… Mais il faut que ça s’arrête.
Il a hoché la tête tristement et est rentré chez lui.
J’aurais voulu que tout redevienne comme avant, mais c’était trop tard. Antoine ne me faisait plus confiance. Il fouillait parfois dans mon téléphone, lisait mes messages sous prétexte de chercher une adresse ou une photo.
Un soir, il a explosé :
— Tu ne vois donc rien ? Ce type te tourne autour depuis des semaines et toi tu souris !
J’ai pleuré pour la première fois depuis longtemps. Pas à cause de Luc, mais parce que je voyais mon couple se fissurer sous mes yeux.
Ma mère m’a appelée un matin :
— Camille, tu as l’air fatiguée… Qu’est-ce qui se passe ?
J’ai tout déballé d’une traite. Elle a soupiré :
— Les hommes ont parfois du mal à supporter qu’on attire l’attention… Mais tu n’as rien fait de mal.
Ses mots m’ont soulagée un instant, mais le malaise persistait.
Dans l’immeuble, les rumeurs ont commencé à circuler. La concierge m’a lancé un regard appuyé en ramassant le courrier :
— On dit que Luc est amoureux… Faites attention à votre réputation.
J’ai eu envie de disparaître.
Un soir de mai, Antoine est rentré tard et m’a trouvée assise dans le noir.
— On ne peut pas continuer comme ça… Je t’aime mais je n’arrive plus à te faire confiance.
J’ai senti mon cœur se briser. J’ai pensé à tout ce qu’on avait construit ensemble : nos vacances en Bretagne, nos soirées à refaire le monde autour d’un verre de vin… Tout semblait si loin.
Luc ne m’a plus jamais offert de fleurs ni de chocolat. Il m’adresse parfois un salut gêné dans l’escalier. Antoine et moi essayons de recoller les morceaux mais quelque chose s’est cassé à jamais.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je eu tort d’accepter ces cadeaux ? Où commence la menace quand la gentillesse devient trop insistante ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?