Quand la foi devient notre dernier espoir : comment ma famille a survécu à la précarité
« Tu crois vraiment que Dieu va payer le loyer, maman ? » Ma voix tremblait dans la cuisine glaciale, ce matin-là. Ma mère s’est arrêtée de remuer son café, les yeux rougis par une nuit sans sommeil. Elle m’a regardée, fatiguée mais droite : « On n’a plus que ça, Camille. »
J’avais seize ans, et jusqu’à cette semaine de février, je croyais que les galères, c’était pour les autres. Mon père, Marc, travaillait depuis vingt ans à l’usine Peugeot de Sochaux. Ma mère, Isabelle, était aide-soignante à mi-temps. On n’était pas riches, mais on partait en vacances à La Baule chaque été, on avait une petite maison avec un jardin et même un chien, Oscar. Puis, du jour au lendemain, tout s’est effondré : licenciement économique, indemnités qui fondent comme neige au soleil, factures qui s’accumulent.
Je me souviens de ce soir où mon père est rentré plus tôt que d’habitude. Il a posé sa sacoche sur la table, sans un mot. Ma mère a compris tout de suite. Moi, j’ai mis plus de temps à réaliser. Les jours suivants, j’ai vu mon père tourner en rond dans le salon, envoyer des CV, attendre des réponses qui ne venaient jamais. Les disputes ont commencé :
— Tu pourrais chercher ailleurs, Marc !
— Tu crois que je fais quoi toute la journée ?
— On ne va pas tenir comme ça !
Je me réfugiais dans ma chambre pour ne pas entendre leurs voix brisées. Mais la peur me rattrapait partout : au lycée, quand je voyais mes copines parler de leurs nouveaux vêtements ; à la boulangerie, quand ma mère comptait les centimes pour acheter une baguette.
Un soir, alors que je faisais semblant de réviser, j’ai entendu ma mère prier à voix basse dans le salon. Elle murmurait des mots que je n’avais jamais entendus chez nous. On n’était pas une famille très pratiquante, mais ce soir-là, elle suppliait Dieu de nous aider. J’ai eu honte de l’espionner, mais aussi honte d’avoir honte.
Les semaines ont passé. Les lettres de relance s’empilaient dans l’entrée. Un matin, la propriétaire est venue frapper à la porte. Ma mère a tenté de garder la tête haute :
— Nous allons régler le loyer, madame Lefèvre, c’est une question de jours.
— Isabelle, je comprends… mais je ne peux pas attendre indéfiniment.
Après son départ, ma mère s’est effondrée. J’ai voulu la consoler, mais elle m’a repoussée doucement :
— Je dois être forte pour vous.
C’est là que j’ai compris que la foi était devenue son refuge. Elle a commencé à aller à l’église du quartier tous les dimanches. Parfois, elle m’y traînait avec elle. Je n’aimais pas ça au début : les chants, les sermons du père François, les regards compatissants des autres paroissiens. Mais peu à peu, j’ai senti quelque chose changer en moi. Peut-être était-ce le simple fait de ne pas être seule avec nos problèmes.
Un dimanche, après la messe, une femme s’est approchée de nous. Elle s’appelait Monique. Elle a pris la main de ma mère :
— Isabelle, si vous avez besoin de quoi que ce soit…
Ma mère a d’abord refusé par fierté. Mais Monique est revenue chaque semaine avec un panier de légumes du jardin ou un sac de vêtements pour moi. Grâce à elle, j’ai pu continuer à aller au lycée sans avoir honte de mes habits usés.
Mon père, lui, s’enfonçait dans le silence. Il ne supportait pas de voir sa femme mendier l’aide des autres ou de Dieu. Un soir, il a explosé :
— Tu crois que prier va remplir le frigo ?
— Je crois qu’on n’a plus rien à perdre !
Ils se sont regardés longtemps, puis il est sorti fumer sur le perron. J’ai eu peur qu’il ne revienne pas.
Mais il est revenu. Et un matin, alors que je partais au lycée sous la pluie, il m’a prise dans ses bras :
— Je vais trouver une solution, ma puce.
Quelques jours plus tard, il a accepté un petit boulot chez un voisin agriculteur. Ce n’était pas ce dont il rêvait, mais ça nous a permis de tenir quelques mois de plus.
La foi de ma mère ne lui a pas trouvé un emploi du jour au lendemain. Mais elle lui a donné la force de ne pas sombrer dans le désespoir. Elle a aussi attiré autour de nous une solidarité insoupçonnée : des voisins qui déposaient discrètement des sacs de courses devant notre porte ; le curé qui nous a aidés à remplir un dossier d’aide sociale ; des amis du lycée qui m’invitaient à dîner pour que je mange à ma faim.
Un an plus tard, mon père a retrouvé un emploi dans une entreprise de maintenance industrielle à Montbéliard. Ce n’était pas aussi bien payé qu’avant, mais c’était un nouveau départ. Nous avons pu garder la maison.
Aujourd’hui encore, je repense à cette période avec un mélange de honte et de gratitude. Honte d’avoir eu peur du regard des autres ; gratitude envers ceux qui nous ont tendu la main sans rien attendre en retour.
Je ne sais pas si c’est Dieu qui nous a aidés ou simplement la force de l’amour et de la solidarité humaine. Mais je sais que sans la foi de ma mère – et sans ceux qui ont cru en nous quand nous n’y croyions plus – nous n’aurions peut-être pas survécu.
Est-ce que vous croyez que la foi peut vraiment changer une vie ? Ou est-ce seulement l’entraide entre humains qui fait la différence ?