Nous avons offert notre maison à notre fils, mais il l’a louée : le choc d’une famille française
« Tu as fait quoi, Thomas ? » Ma voix tremble, oscillant entre la colère et l’incompréhension. Je serre la lettre de la banque dans ma main, le papier froissé témoignant de mon agitation. Mon mari, Jean-Pierre, reste silencieux à côté de moi, les bras croisés, le regard fixé sur notre fils. Thomas baisse les yeux, évitant soigneusement nos regards.
« J’ai… j’ai décidé de louer l’appartement », murmure-t-il enfin.
Un silence glacial s’abat sur la pièce. Je sens mon cœur se serrer. Cet appartement, c’est toute une vie de sacrifices. Les heures supplémentaires à l’hôpital, les vacances annulées, les rêves reportés pour que, un jour, Thomas ait un toit à lui, un point d’ancrage dans ce monde incertain. Nous avions tout planifié : à sa trentaine, il aurait enfin son espace, son cocon, là où il a grandi, dans ce quartier paisible de Nantes.
Mais il a choisi autrement.
« Pourquoi ? » souffle Jean-Pierre, la voix rauque.
Thomas relève la tête. Il a l’air plus vieux soudain, fatigué. « J’ai besoin d’argent. Je veux lancer mon entreprise avec Camille. L’appartement… c’est une sécurité pour moi. Si je le loue, je peux investir dans mon projet. »
Je sens la colère monter. « Et nous ? Tu sais ce que ça nous a coûté ? Tu sais ce que ça représente pour nous ? »
Il détourne les yeux. « Je sais… Mais c’est ma vie maintenant. Je veux essayer. »
Les jours qui suivent sont un mélange d’amertume et de silences pesants. Jean-Pierre ne parle presque plus à Thomas. Moi, je me perds dans mes souvenirs : les Noëls passés dans ce salon, les anniversaires fêtés sur la terrasse, les disputes et les réconciliations… Tout cela me semble trahi.
Un soir, je surprends une conversation entre Jean-Pierre et sa sœur, Hélène, au téléphone :
« Il n’a aucun respect pour ce qu’on lui donne… À quoi bon se sacrifier ? »
Je me sens coupable d’avoir transmis cette pression à Thomas. Avons-nous vraiment offert cet appartement par amour ou par besoin de reconnaissance ?
Les semaines passent. Thomas s’installe chez Camille dans un petit studio du centre-ville. L’appartement familial est vide, puis occupé par des inconnus : une famille avec deux enfants bruyants. Je croise parfois la mère sur le palier ; elle me sourit poliment sans savoir qui je suis.
Un dimanche matin, alors que je range des photos de famille, Thomas m’appelle.
« Maman… Tu as un moment ? »
Je sens sa voix trembler. Il me parle de ses difficultés avec son projet : les banques qui refusent de prêter, Camille qui doute, la solitude qui le ronge parfois.
« Je voulais te remercier… Même si tu ne comprends pas mon choix. Sans vous, je n’aurais jamais pu tenter ça. »
Je pleure en silence après avoir raccroché. Peut-être que l’amour parental n’est pas fait pour être compris mais accepté.
Quelques mois plus tard, Jean-Pierre tombe malade. Un cancer du poumon foudroyant. L’appartement devient secondaire ; seule compte la présence de ceux qu’on aime. Thomas revient souvent à l’hôpital, il tient la main de son père, lui parle doucement.
À la mort de Jean-Pierre, Thomas me serre fort contre lui.
« Je suis désolé pour tout… »
Je lui réponds en pleurant : « Ce n’est pas l’appartement qui compte… C’est toi. »
Aujourd’hui, je vis seule dans un petit deux-pièces à Rezé. L’appartement familial appartient toujours à Thomas ; il a arrêté de le louer et y vient parfois avec Camille et leur bébé. Parfois je m’y rends aussi, pour arroser les plantes ou simplement respirer l’odeur des souvenirs.
Je me demande souvent : avons-nous le droit d’attendre que nos enfants vivent nos rêves ? Ou devons-nous simplement leur donner les moyens de poursuivre les leurs ? Qu’en pensez-vous ?