Mon gendre est un homme bien, mais ses parents me hantent : vais-je perdre mes petits-enfants ?

— Tu ne comprends pas, maman, ce n’est pas si grave !

La voix de ma fille, Camille, résonne dans la cuisine. Je serre la poignée de la porte, mon cœur tambourine. Je viens d’arriver chez elle à Lyon pour garder mes petits-enfants pendant qu’elle travaille. Mais ce que j’entends me glace le sang.

— Thomas veut inviter ses parents à passer le week-end ici. Ils veulent « aider » avec les enfants, dit-elle en soupirant.

Je retiens un cri. Les parents de Thomas… Depuis le mariage, ils sont mon cauchemar éveillé. Ils sont bruyants, envahissants, et surtout, ils n’ont aucune limite. Ils critiquent tout : la façon dont je cuisine, comment je parle à mes petits-enfants, même la décoration de la maison que j’ai achetée après quinze ans de sacrifices à l’étranger.

Je me revois, jeune femme sans diplôme ni force physique, débarquant à Paris avec un accent du Sud et une valise trouée. J’ai fait des ménages, gardé des enfants, travaillé dans des hôtels miteux. Quinze ans à envoyer chaque centime à Camille pour qu’elle ait une vie meilleure. Quinze ans à rêver d’une maison où ma famille serait enfin réunie.

Et maintenant ? Je me sens étrangère dans mon propre foyer.

Le lendemain matin, Thomas arrive avec ses parents. Jean-Pierre et Françoise. Ils s’installent comme chez eux. Françoise pose son sac sur la table sans même un bonjour.

— Ah, tu as encore fait ce gratin ? Tu sais que les enfants préfèrent les nuggets, non ?

Jean-Pierre ricane :

— Ici, c’est toujours ambiance pensionnat !

Je ravale mes larmes. Je me tourne vers Thomas, espérant qu’il dise quelque chose. Mais il baisse les yeux.

À midi, Françoise s’impose en cuisine.

— Laisse-moi faire, tu vas te reposer !

Mais je sais ce que ça veut dire : elle va jeter mon gratin et sortir des plats surgelés. Les enfants crient de joie devant les frites. Je me sens invisible.

Le soir, je surprends une conversation entre Françoise et Camille.

— Tu devrais laisser les enfants plus souvent devant la télé. Ils apprennent plein de choses !

Camille hésite.

— Maman préfère qu’ils lisent ou jouent dehors…

Françoise hausse les épaules.

— Elle est trop vieille école. Aujourd’hui, il faut vivre avec son temps !

Je monte dans ma chambre, le cœur lourd. J’entends les rires en bas. Mes petits-enfants m’oublient déjà ?

Le lendemain, je décide de parler à Camille.

— Ma chérie, tu sais combien j’aime tes enfants… Mais je ne peux pas rester ici si je dois me battre pour chaque valeur que j’essaie de leur transmettre.

Elle me regarde, désemparée.

— Maman… Je suis fatiguée de choisir entre toi et eux. Thomas ne veut pas de conflit. Et puis… tu sais bien que ses parents sont différents.

Je sens la colère monter.

— Différents ? Ils ne respectent rien ! Ni toi, ni moi, ni nos traditions !

Camille baisse la tête.

— Peut-être qu’on doit apprendre à vivre ensemble…

Mais comment vivre ensemble quand tout nous oppose ?

Le dimanche soir, alors que tout le monde est devant la télé, je m’approche de Thomas.

— Tu sais que j’ai travaillé toute ma vie pour offrir cette maison à Camille et aux enfants ?

Il hoche la tête.

— Je sais…

— Alors pourquoi tes parents se comportent-ils comme si tout leur appartenait ?

Il soupire.

— Ils sont comme ça… Je n’arrive pas à leur dire non.

Je sens mes forces me quitter. J’ai lutté toute ma vie contre la pauvreté, l’exil, la solitude… Et maintenant je dois lutter contre ma propre famille ?

La semaine suivante, Françoise propose d’emmener les enfants en vacances sans moi. Camille hésite mais finit par accepter. Je me retrouve seule dans cette maison pour laquelle j’ai tant sacrifié.

Je me demande : ai-je échoué ? Ai-je transmis mes valeurs à ma fille ? Mes petits-enfants retiendront-ils quelque chose de moi ou deviendront-ils comme leurs autres grands-parents ?

Un soir, Camille vient me voir.

— Maman… Je suis désolée si tu te sens mise à l’écart. Mais je veux que mes enfants aient le choix. Peut-être qu’ils apprendront de chacun de vous…

Je la regarde longtemps. Ai-je été trop dure ? Trop possessive ? Ou bien ai-je raison de vouloir préserver ce qui fait notre famille ?

Aujourd’hui encore, je me pose la question : faut-il accepter toutes les différences au nom de la paix familiale ? Ou bien défendre coûte que coûte ce en quoi on croit ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?