Mon frère a tout sacrifié pour ses enfants, mais ils l’ont abandonné quand il a eu le plus besoin d’eux

« Tu crois qu’ils vont venir, cette fois ? » La voix de mon frère tremblait, presque inaudible, alors qu’il fixait la porte d’entrée de sa petite maison à Tours. Je n’ai pas osé répondre. Depuis trois semaines, il était cloué au lit, la maladie l’ayant frappé sans prévenir. Trois semaines à attendre un signe de ses enfants. Trois semaines à espérer que l’amour qu’il leur avait donné toute sa vie ne serait pas oublié.

Je m’appelle Claire. J’ai vu mon frère, Laurent, se transformer le jour où sa femme, Sophie, est partie avec un collègue. Il n’a pas pleuré devant moi. Il a juste serré les dents et pris ses trois enfants dans ses bras : Camille, Lucas et Chloé. Il leur a promis qu’il ne les laisserait jamais tomber. Il a tenu parole. Il a refusé toutes les invitations à sortir, toutes les tentatives de nos amis pour lui présenter quelqu’un. « Mes enfants passent avant tout », répétait-il.

Laurent était chef dans un petit restaurant du centre-ville. Il travaillait tard, rentrait épuisé, mais trouvait toujours la force de préparer des crêpes le dimanche matin ou d’aider Lucas avec ses devoirs de maths. Il économisait sou par sou pour offrir à Camille le stage de théâtre dont elle rêvait, à Chloé le dernier smartphone à la mode. Les enfants disaient merci, mais demandaient toujours plus. « Papa, tu pourrais me payer le permis ? Papa, j’ai besoin d’une nouvelle veste pour le lycée… »

Je voyais bien que ça le rongeait parfois. Un soir, alors que nous dînions ensemble, il a lâché : « Je me demande si je fais bien… Peut-être qu’ils ne m’aiment que pour ce que je leur donne. » J’ai tenté de le rassurer, mais au fond, j’avais la même inquiétude.

Les années ont passé. Les enfants ont grandi, sont partis faire leurs études à Paris ou à Bordeaux. Laurent restait seul dans sa maison silencieuse. Il envoyait des messages, proposait des week-ends en famille. Souvent, il recevait des réponses évasives : « Désolé Papa, trop de boulot », « Je viendrai la prochaine fois ». Il gardait espoir.

Puis la maladie est arrivée. Un cancer du pancréas, diagnostiqué trop tard. J’ai tout de suite prévenu les enfants. Camille a répondu par un SMS : « Je suis désolée, j’ai des examens ». Lucas n’a même pas décroché son téléphone. Chloé a promis de venir « dès qu’elle pourrait ». Les jours passaient et Laurent s’affaiblissait.

Un soir d’octobre, alors que la pluie battait contre les vitres, Laurent m’a demandé : « Tu crois qu’ils m’en veulent ? Est-ce que j’ai été un mauvais père ? » Je n’ai pas su quoi dire. J’avais envie de hurler contre ses enfants, contre cette injustice. Mais je me suis contentée de lui prendre la main.

La veille de Noël, j’ai tenté une dernière fois d’appeler Camille :
— Camille, ton père ne va pas bien du tout…
— Je sais, Tata Claire, mais tu comprends… C’est compliqué avec mon boulot…
— Il ne te demande rien d’autre que ta présence.
Un silence gênant a suivi.
— Je verrai ce que je peux faire.

Laurent a passé Noël seul avec moi. Il a regardé la fenêtre toute la soirée, espérant voir une silhouette familière dans l’allée. Mais personne n’est venu.

Quelques jours plus tard, alors qu’il peinait à respirer, il m’a murmuré : « J’aurais voulu les serrer dans mes bras une dernière fois… »

Il est parti un matin de janvier, sans bruit. J’ai organisé les obsèques seule. Les enfants sont arrivés en retard à l’enterrement. Camille pleurait à chaudes larmes devant le cercueil fermé. Lucas restait en retrait, les bras croisés. Chloé fixait son téléphone.

Après la cérémonie, Camille s’est approchée de moi :
— Tu crois qu’il m’en voulait ?
J’ai senti la colère monter en moi.
— Ce n’est pas à moi de te répondre.

Aujourd’hui encore, je repense à tout ça. À ce frère qui a tout donné sans rien attendre en retour. À ces enfants qui n’ont pas su voir la richesse de l’amour qu’ils recevaient.

Est-ce que c’est ça, la famille aujourd’hui ? Est-ce qu’on finit toujours par oublier ceux qui nous ont tout donné ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?