Mon ex-femme n’aurait jamais cru que je tomberais si bas après notre divorce : récit d’une chute inattendue

« Tu crois vraiment que tu vas t’en sortir tout seul, Julien ? »

La voix de Camille résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, alors que je claque la porte de notre petit appartement de la rue des Lilas. Il pleut ce soir-là, une pluie fine et glaciale qui colle à la peau, et je serre contre moi le carton contenant mes quelques affaires. Je descends les escaliers, chaque pas résonne comme un écho de tout ce que je perds : un foyer, une routine, une femme que j’ai aimée plus que tout.

Je m’appelle Julien, j’ai trente-quatre ans, et je suis professeur d’histoire-géographie dans un collège de banlieue parisienne. Camille et moi, on s’est rencontrés à la fac, sur les bancs de la Sorbonne. On rêvait d’une vie simple, de voyages en train à travers la France, de dîners entre amis, de longues discussions sur l’éducation et la politique. On s’est mariés jeunes, trop jeunes peut-être, mais on y croyait. On a loué ce deux-pièces, modeste mais lumineux, et on a commencé à construire notre avenir, un salaire d’enseignant après l’autre.

Mais la réalité s’est vite imposée : les fins de mois difficiles, les copies à corriger jusqu’à minuit, les réunions parents-profs qui s’éternisent, la fatigue qui s’accumule. Camille voulait un enfant, moi aussi, mais comment faire quand on n’arrive déjà pas à joindre les deux bouts ?

Les disputes ont commencé, d’abord sur des broutilles : qui fait les courses, qui sort les poubelles, qui paie la facture de gaz. Puis c’est devenu plus profond, plus douloureux. « Tu n’es jamais là », me reprochait-elle. « Tu ne comprends pas ce que je ressens. »

Un soir, après une énième dispute, elle a lancé : « Peut-être qu’on ferait mieux d’arrêter là. » J’ai ri, nerveusement, pensant qu’elle ne le pensait pas. Mais quelques semaines plus tard, elle m’a tendu les papiers du divorce. J’ai signé, la main tremblante, sans vraiment comprendre ce qui se passait.

C’est là que tout a commencé à s’effondrer.

Je me suis retrouvé seul, dans un studio minuscule à Montreuil, avec pour seule compagnie le bruit du périphérique. Les premiers jours, j’ai cru que ce serait une libération. Plus de disputes, plus de reproches. Mais très vite, le silence est devenu assourdissant. Je rentrais du collège, jetais mon sac sur le canapé, et je fixais le plafond, incapable de bouger. Les amis communs ont choisi leur camp, et la plupart ont disparu. Ma famille, en province, ne comprenait pas. « Tu n’as qu’à tourner la page », me disait ma mère au téléphone. Facile à dire.

L’argent est devenu un problème. Avec le loyer du studio, les traites de la voiture, et la pension alimentaire que je devais verser à Camille – car oui, elle a obtenu la garde de notre chat, et même ça, ça coûte cher –, je me suis vite retrouvé à découvert. J’ai commencé à faire des heures supplémentaires au collège, à donner des cours particuliers le soir, mais rien n’y faisait. Je mangeais des pâtes, je portais les mêmes chemises jusqu’à l’usure, et je mentais à tout le monde en disant que « ça allait ».

Un matin, en salle des profs, mon collègue François m’a lancé : « Tu tires une de ces têtes, vieux ! T’as pas dormi ? » J’ai haussé les épaules, incapable d’avouer que je n’avais pas fermé l’œil de la nuit, rongé par l’angoisse de ne pas pouvoir payer mon loyer le mois suivant. Même mes élèves ont remarqué que quelque chose n’allait pas. « Monsieur, vous êtes triste ? » m’a demandé Léa, une petite de cinquième, les yeux pleins de compassion. J’ai souri, faussement, et j’ai changé de sujet.

Les week-ends étaient les pires. Je voyais sur les réseaux sociaux les photos de Camille, radieuse, entourée de ses nouveaux amis, partant en randonnée en Bretagne ou dégustant des huîtres à Arcachon. Je me suis surpris à la jalouser, à lui en vouloir d’aller si bien alors que moi, je sombrais. J’ai tenté de sortir, d’aller au cinéma, de m’inscrire à un club de lecture, mais rien n’y faisait. La solitude me collait à la peau comme une seconde nature.

Un soir de novembre, alors que la pluie battait contre les vitres et que je n’avais plus rien à manger, j’ai craqué. J’ai appelé Camille. La voix tremblante, j’ai demandé : « Est-ce que tu regrettes ? » Elle a soupiré. « Julien, il faut que tu avances. Je ne peux pas t’aider. » Elle avait raison, mais entendre ces mots m’a brisé un peu plus.

J’ai sombré dans une sorte de dépression silencieuse. Je faisais mon travail machinalement, je souriais aux collègues, mais à l’intérieur, tout était vide. J’ai même pensé à tout arrêter, à quitter Paris, à retourner chez mes parents en Corrèze. Mais l’idée de croiser le regard déçu de mon père m’a retenu.

C’est finalement une élève, Inès, qui m’a réveillé. Un jour, elle est venue me voir après le cours, les yeux brillants : « Monsieur, grâce à vous, j’ai eu 16 en histoire ! » Elle m’a serré la main, et j’ai senti une chaleur que je n’avais pas ressentie depuis longtemps. Peut-être que je servais encore à quelque chose.

Petit à petit, j’ai recommencé à vivre. J’ai accepté l’aide d’un collègue pour trouver un logement moins cher. J’ai renoué avec mon frère, que je n’avais pas vu depuis des années. J’ai même adopté un chaton trouvé dans la rue – ironie du sort.

Mais la blessure reste là, profonde. Parfois, je croise Camille dans le métro. On se salue poliment, sans vraiment se regarder. Je me demande si elle pense à moi, si elle regrette. Moi, je n’ai pas encore réussi à tourner la page.

Est-ce qu’on se remet vraiment d’un divorce ? Est-ce qu’on peut reconstruire sa vie quand tout s’est effondré ? Je n’ai pas la réponse. Et vous, qu’en pensez-vous ?