« Maman, tu ne m’as jamais comprise » : Comment j’ai perdu ma fille après mon divorce

« Tu ne comprends jamais rien, maman ! »

Sa voix a claqué dans le salon comme une gifle. Je suis restée figée, le téléphone à la main, incapable de répondre. C’était la troisième fois cette semaine que Camille ne décrochait pas. La première fois, j’avais pensé qu’elle était simplement occupée par son travail à la médiathèque de Nantes, ou qu’elle s’était endormie devant une série. Mais là…

Je me suis assise sur le canapé, les mains tremblantes. Depuis le divorce avec François, il y a trois ans, Camille était devenue mon pilier, ma raison de me lever chaque matin. J’avais cru être la sienne aussi. Mais ce soir-là, alors que je relisais nos derniers échanges sur WhatsApp — des messages de plus en plus brefs, des réponses laconiques — j’ai compris que quelque chose m’échappait.

Le lendemain, j’ai tenté de l’appeler encore. Messagerie. J’ai laissé un message : « Camille, c’est maman. Rappelle-moi quand tu peux, s’il te plaît. » Rien. Deux jours plus tard, j’ai reçu un SMS : « Je suis fatiguée, maman. Je te rappelle plus tard. »

J’ai attendu. Une semaine. Deux semaines. Le silence s’est installé comme une brume froide dans mon appartement du centre-ville d’Angers. J’ai commencé à douter de tout : avais-je été trop présente ? Trop exigeante ? Trop… moi ?

Un soir, n’y tenant plus, j’ai pris ma voiture et j’ai roulé jusqu’à Nantes. J’ai attendu devant son immeuble, espérant l’apercevoir. Quand elle est sortie, elle a sursauté en me voyant.

— Maman ? Qu’est-ce que tu fais là ?

— Camille… Tu ne réponds plus à mes appels… Je m’inquiète.

Elle a soupiré, les bras croisés sur sa poitrine.

— Je n’ai pas envie de parler.

— Mais enfin, Camille ! On était si proches…

Elle a détourné les yeux.

— Tu crois qu’on était proches ? Tu ne m’as jamais vraiment écoutée.

J’ai senti mon cœur se serrer.

— Comment peux-tu dire ça ? Après tout ce qu’on a traversé ensemble…

Elle a haussé les épaules.

— Justement. Après le divorce, tu t’es accrochée à moi comme à une bouée de sauvetage. Tu ne m’as jamais demandé comment je vivais tout ça. Tu voulais juste que je sois forte pour toi.

Je suis restée sans voix. Les mots me manquaient. Je revoyais tous ces soirs où je pleurais dans la cuisine en pensant à François, tous ces dimanches où je forçais Camille à sortir avec moi pour « changer d’air ». Je croyais bien faire…

— Je suis désolée, Camille… Je ne savais pas…

Elle a secoué la tête.

— Tu ne voulais pas savoir.

Elle est rentrée chez elle sans un regard en arrière.

Je suis restée sur le trottoir, glacée par ses paroles. Toute la nuit, j’ai ressassé notre conversation. Avais-je vraiment été aussi aveugle ?

Les jours suivants ont été un supplice. Je me suis surprise à relire de vieux albums photos : Camille petite fille, ses cheveux blonds en bataille, son sourire éclatant lors de ses anniversaires… Où avais-je perdu sa confiance ?

J’ai tenté de lui écrire une lettre :

« Ma chérie,
Je t’écris parce que je n’arrive plus à te parler sans pleurer. Je comprends aujourd’hui que j’ai été égoïste après le divorce. J’avais besoin de toi pour tenir debout et je n’ai pas vu ta souffrance. Je t’en supplie, donne-moi une chance de réparer mes erreurs… »

Je n’ai jamais su si elle l’a lue.

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que la solitude me pesait plus que jamais, j’ai reçu un message :

« Maman, j’ai besoin de temps. Je t’aime mais je dois penser à moi pour une fois. »

J’ai pleuré longtemps ce soir-là. Pas seulement pour moi, mais pour elle aussi. Pour tout ce qu’elle avait gardé en elle toutes ces années.

Depuis, je vis avec ce vide. J’essaie de reconstruire ma vie : je me suis inscrite à un atelier d’écriture à la médiathèque municipale, j’ai repris contact avec quelques amies perdues de vue depuis le lycée. Mais rien ne remplace l’amour d’une fille.

Parfois, je croise des mères et leurs filles dans la rue et je me demande si elles se disent tout ce qu’elles ressentent vraiment. Si elles savent combien il est facile de se perdre de vue même en vivant sous le même toit.

Aujourd’hui encore, je me demande : peut-on vraiment réparer une relation mère-fille abîmée par des années de malentendus et de non-dits ? Ou faut-il accepter que certaines blessures ne guérissent jamais ? Qu’en pensez-vous ?