Ma petite-fille disparaît sous mes yeux : le choix impossible d’une grand-mère face à l’injustice familiale
— Tu ne comprends donc jamais rien, Camille ! s’écria Laura, ma fille, en claquant la porte de la cuisine. Le bruit résonna dans tout l’appartement, glaçant le silence du petit déjeuner. Je me tenais là, figée, la main serrée sur ma tasse de café, le cœur battant trop fort. Camille, ma petite-fille de treize ans, baissa la tête, les épaules rentrées comme pour disparaître. Sa sœur cadette, Chloé, leva à peine les yeux de son bol de céréales, un sourire satisfait flottant sur ses lèvres.
Je m’appelle Françoise. J’ai soixante-sept ans et je n’aurais jamais cru devoir un jour écrire ces mots : je crains pour l’avenir de ma petite-fille. Je la vois s’effacer, perdre du poids, s’enfermer dans sa chambre, ne parler à personne. Et tout cela parce que sa propre mère, ma fille Laura, semble incapable de l’aimer comme elle aime Chloé.
Laura n’a jamais manqué d’assurance. Petite déjà, elle voulait toujours être la première, la meilleure. Elle a épousé Paul, un homme droit et sportif, issu d’une bonne famille lyonnaise. Ils avaient tout pour être heureux. Mais dès la naissance de Chloé, quelque chose a changé. Laura s’est mise à préférer la petite : elle riait plus fort avec elle, lui achetait des vêtements neufs alors que Camille récupérait les restes. Je me suis dit que c’était passager… mais les années ont passé et rien n’a changé.
Un soir d’hiver, alors que je gardais les filles, Camille est venue s’asseoir près de moi sur le canapé. Elle avait les yeux rouges.
— Mamie… pourquoi maman ne m’aime pas ?
J’ai senti mon cœur se briser. Que répondre à une enfant qui pose une question pareille ? J’ai caressé ses cheveux blonds et j’ai menti comme on ment pour protéger :
— Mais si, ma chérie… parfois les mamans sont fatiguées, c’est tout.
Mais je savais que ce n’était pas vrai. Laura ne faisait même plus semblant devant moi. Un jour, alors que Camille avait eu une bonne note en maths — elle avait tant travaillé ! — Laura n’a même pas levé les yeux de son téléphone.
— C’est bien, mais Chloé a eu 18 en français, tu sais ?
Camille a souri faiblement et s’est retirée dans sa chambre. J’ai voulu parler à Laura ce soir-là.
— Tu ne trouves pas que tu es un peu dure avec Camille ?
Elle a haussé les épaules :
— Elle est trop sensible. Elle doit apprendre à se débrouiller seule.
J’ai essayé d’insister :
— Mais tu ne peux pas toujours mettre Chloé en avant…
Laura m’a coupée sèchement :
— Maman, c’est MES enfants. Je sais ce que je fais.
Paul, le père, semblait absent de tout cela. Il travaillait beaucoup et rentrait tard. Quand il était là, il embrassait ses filles sans voir la tension qui régnait à la maison. Un soir pourtant, il a surpris une dispute entre Laura et Camille.
— Tu fais exprès d’être aussi lente ? Tu veux qu’on ait honte de toi au collège ?
Paul a posé sa main sur l’épaule de Laura :
— Laisse-la tranquille…
Mais Laura a haussé le ton :
— Si tu t’en occupais plus souvent, tu comprendrais !
Camille est montée dans sa chambre en courant. J’ai entendu la porte claquer. J’ai voulu la suivre mais Laura m’a arrêtée :
— Laisse-la bouder ! Elle doit apprendre à se contrôler.
Les mois ont passé et Camille est devenue l’ombre d’elle-même. Elle ne mangeait presque plus, parlait à peine. À l’école, ses notes ont chuté. J’ai reçu un appel du collège :
— Madame Durand ? Nous sommes inquiets pour Camille… Elle semble très isolée.
J’ai pris rendez-vous avec la psychologue scolaire. Elle m’a dit :
— Il y a un vrai mal-être chez Camille. Elle se sent rejetée par sa mère et jalouse de sa sœur. Il faut agir vite.
Je suis rentrée chez moi ce soir-là avec une boule au ventre. J’ai appelé Laura.
— Il faut qu’on parle de Camille.
Elle a soupiré :
— Encore toi ! Tu dramatises tout.
J’ai insisté :
— Si tu continues comme ça, tu vas perdre ta fille.
Laura a ri jaune :
— Tu crois que c’est facile ? Chloé est facile à vivre, Camille me ressemble trop… C’est plus fort que moi.
J’ai raccroché en larmes. Comment une mère peut-elle dire ça ? Comment ma propre fille peut-elle reproduire ce que j’ai tant essayé d’éviter ?
Un dimanche matin, j’ai trouvé Camille assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre chez moi. Elle regardait dehors sans bouger.
— Mamie… si je partais loin, tu crois que maman serait triste ?
Je me suis assise près d’elle et j’ai pris sa main dans la mienne.
— Je serai toujours là pour toi, ma chérie. Toujours.
Depuis ce jour-là, je réfléchis à prendre une décision radicale : demander la garde de Camille. Mais ai-je le droit d’arracher une enfant à sa mère ? Est-ce vraiment ce qu’il faut faire ? Ou dois-je continuer à espérer que Laura changera ?
Parfois je me demande : jusqu’où doit-on aller pour protéger ceux qu’on aime ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?