Ma fille ne voulait pas d’enfants… Jusqu’au jour où tout a basculé
« Maman, je t’en supplie, ne me juge pas… »
La voix de Camille tremblait, ses mains serraient la tasse de thé comme si elle pouvait s’y accrocher pour ne pas sombrer. Je n’avais jamais vu ma fille aussi vulnérable. Camille, c’était celle qui, dès le lycée à Nantes, lançait fièrement à ses amies : « Les enfants ? Jamais ! Je veux voyager, vivre, être libre ! » Elle avait toujours refusé les poupées, préféré les romans d’aventure aux histoires de princesses. Même à vingt-huit ans, elle répétait encore : « Maman, je ne suis pas faite pour ça. »
Alors ce soir-là, quand elle a débarqué chez moi sous la pluie battante, trempée jusqu’aux os, j’ai tout de suite compris que quelque chose de grave se passait. Elle s’est effondrée sur le canapé, les yeux rougis par les larmes.
— Je suis enceinte, maman…
Le silence s’est abattu dans le salon. J’ai senti mon cœur rater un battement. Je n’ai rien dit. J’ai juste posé ma main sur la sienne. Elle a éclaté en sanglots.
— Je ne sais pas quoi faire… Je ne voulais pas… Je n’ai jamais voulu ça !
J’aurais pu lui rappeler toutes ces années où elle affirmait haut et fort son refus de la maternité. Mais je me suis tue. J’ai pensé à toutes ces fois où j’avais rêvé d’être grand-mère, sans jamais oser lui en parler.
— Tu n’es pas obligée de décider tout de suite, tu sais. On va réfléchir ensemble.
Mais ce qui m’a le plus bouleversée, c’est quand elle a murmuré :
— Il faut que je te dise qui est le père…
J’ai senti une angoisse sourde monter en moi. Camille avait eu quelques histoires, mais rien de sérieux depuis sa rupture avec Paul il y a deux ans.
— C’est… C’est Vincent.
J’ai cru que j’allais m’évanouir. Vincent ? Le meilleur ami de son père, notre voisin depuis vingt ans, celui qui venait dîner chez nous presque chaque semaine ? Vincent qui avait cinquante ans passés, marié à Sophie, père de deux enfants adultes ?
— Camille…
Elle a baissé les yeux, honteuse.
— Je sais que c’est mal. Je sais que tu vas me détester… Mais je n’ai personne d’autre à qui parler.
J’ai senti la colère monter en moi, mêlée à une tristesse immense. Comment avait-elle pu ? Comment Vincent avait-il pu ?
Les jours suivants ont été un cauchemar. Camille restait prostrée dans sa chambre d’ado, refusant de répondre aux appels de Vincent. Il m’a appelée plusieurs fois, paniqué :
— Est-ce qu’elle va bien ? Elle ne répond plus…
Je lui ai raccroché au nez. J’étais incapable de lui parler sans hurler.
Sophie, sa femme, a fini par comprendre qu’il se passait quelque chose. Un soir, elle est venue frapper à ma porte.
— Marie, tu sais ce qui arrive à Vincent ? Il est distant, il rentre tard…
Je n’ai pas eu la force de lui mentir. J’ai juste dit :
— Je crois qu’il traverse une période difficile.
Mais la vérité me brûlait les lèvres.
Camille oscillait entre l’envie d’avorter et celle de garder l’enfant. Elle pleurait en regardant son ventre à peine arrondi.
— Je ne veux pas être mère ! Mais je n’arrive pas à imaginer… l’effacer comme ça.
Je la prenais dans mes bras chaque soir, impuissante. J’essayais de lui rappeler qu’elle avait le droit de choisir. Mais au fond de moi, je sentais grandir un espoir coupable : celui qu’elle garde ce bébé.
Un matin, alors que je préparais du café, Camille est descendue avec une détermination nouvelle dans le regard.
— Je veux voir Vincent. Je dois lui parler.
Ils se sont retrouvés dans le parc près de la Loire. Je les ai observés de loin, assise sur un banc. Vincent semblait abattu, vieilli soudainement.
— Camille… Je suis désolé. Je n’aurais jamais dû…
— Ce n’est pas que ta faute ! J’étais consentante… Mais maintenant ? Qu’est-ce qu’on fait ?
Vincent a pris sa tête entre ses mains.
— Je ne peux pas tout quitter pour toi… pour cet enfant…
Camille a hoché la tête en silence. Elle est rentrée bouleversée mais plus calme.
Les semaines ont passé. Les rumeurs ont commencé à circuler dans le quartier : Camille enceinte, Vincent étrange… Sophie m’a évitée au supermarché. Ma propre sœur m’a appelée :
— Tu devrais avoir honte ! Comment as-tu pu laisser faire ça sous ton toit ?
J’ai pleuré toute la nuit. La honte me rongeait autant que la culpabilité.
Finalement, Camille a décidé de garder l’enfant. Elle a trouvé un petit appartement à Rezé et a commencé à préparer la chambre du bébé avec moi. Elle a coupé les ponts avec Vincent.
Le jour où elle a accouché d’une petite fille, j’étais là. J’ai pris ma petite-fille dans mes bras et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.
Camille est devenue une mère attentive et aimante malgré ses peurs initiales. Mais la blessure reste vive : dans notre famille, plus rien ne sera jamais comme avant.
Parfois je me demande : ai-je bien fait de soutenir ma fille coûte que coûte ? Peut-on vraiment réparer ce qui a été brisé ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?