Ma fille ne m’a plus parlé depuis un an : comment continuer à vivre avec ce silence ?
« Ne me cherche pas. J’ai besoin de vivre ma vie à ma façon. »
Ces mots résonnent encore dans ma tête, comme une cloche fêlée qui refuse de se taire. C’était il y a exactement 372 jours. Depuis, plus rien. Pas un appel, pas un message, pas même une carte postale. Je m’appelle Sylvie, j’ai 54 ans, et je suis la mère d’une fille qui ne veut plus de moi.
Ce matin-là, je me souviens avoir relu le message de Camille au moins dix fois, les mains tremblantes, le cœur battant à tout rompre. J’ai voulu l’appeler, lui dire que je comprenais, que je l’aimais, que je serais toujours là… Mais j’ai su, au fond de moi, que ce serait inutile. Elle avait pris sa décision. J’ai effacé le brouillon de mon SMS et j’ai posé mon téléphone sur la table de la cuisine, à côté de la tasse de café que je n’ai jamais finie.
Camille était tout pour moi. Son père, Laurent, nous avait quittées quand elle avait sept ans. Il a refait sa vie à Bordeaux et n’a jamais vraiment cherché à garder contact. J’ai tout donné pour elle : mes soirées, mes week-ends, mes rêves. Je voulais qu’elle ait tout ce que je n’avais pas eu. Peut-être trop…
Je repense souvent à notre dernière dispute. C’était un dimanche soir, il pleuvait fort dehors et la lumière du salon vacillait à cause du vent. Camille venait d’avoir 22 ans et voulait partir vivre à Paris avec son copain, Hugo. Je n’étais pas d’accord. « Paris, c’est trop cher ! Et puis Hugo… tu ne le connais que depuis six mois ! »
Elle avait levé les yeux au ciel, exaspérée :
— Maman, tu ne comprends rien ! Ce n’est pas ta vie, c’est la mienne !
— Je veux juste te protéger…
— Tu veux surtout tout contrôler !
La porte avait claqué si fort que les cadres accrochés au mur en avaient tremblé.
Depuis ce soir-là, le silence s’est installé entre nous comme une brume épaisse et glaciale. J’ai tenté d’appeler Hugo, mais il m’a répondu sèchement : « Camille ne veut pas parler pour l’instant. Laissez-la tranquille. »
J’ai commencé à douter de tout : de moi, de mon rôle de mère, de mes choix. Est-ce que j’ai été trop présente ? Trop étouffante ? Ou au contraire, pas assez là quand elle en avait besoin ? Les voisins me regardent avec pitié quand ils me croisent dans l’ascenseur. Ma sœur Isabelle me répète sans cesse : « Laisse-lui du temps, elle reviendra… » Mais comment laisser du temps quand chaque minute est une torture ?
Le soir, je m’assois sur le canapé avec mon téléphone à la main. Parfois, j’écris des messages à Camille : « Tu me manques », « J’espère que tu vas bien », « Je t’aime ». Mais je les efface avant d’appuyer sur envoyer. Si elle ne veut pas que je la contacte… ai-je le droit d’insister ?
J’ai essayé de remplir le vide : j’ai repris la peinture, je me suis inscrite à un club de lecture à la médiathèque du quartier. Mais rien n’y fait. Tout me ramène à elle : une chanson à la radio, son parfum oublié dans la salle de bain, une photo d’elle petite sur le frigo.
Un jour, j’ai croisé Hugo par hasard devant la gare Saint-Lazare. Il avait l’air pressé mais je l’ai arrêté :
— Hugo… Est-ce que Camille va bien ?
Il a hésité, puis a soupiré :
— Elle va… Elle essaie d’aller bien. Mais elle a besoin d’espace.
— Dis-lui que je pense à elle… s’il te plaît.
Il a hoché la tête sans me regarder dans les yeux.
J’ai compris alors que je devais attendre. Attendre sans savoir si elle reviendrait un jour vers moi.
La solitude est devenue mon quotidien. Les fêtes de famille sont des épreuves ; Noël dernier, j’ai mis une assiette pour elle par habitude avant de fondre en larmes devant la table vide. Ma mère m’a prise dans ses bras :
— Tu sais, Sylvie… On ne peut pas vivre à travers nos enfants. Ils doivent faire leurs propres erreurs.
Mais comment accepter ça quand on a tout donné ? Comment ne pas se sentir trahie ?
Parfois, je me surprends à imaginer qu’elle va sonner à la porte un matin, sourire aux lèvres, comme si rien ne s’était passé. Mais la réalité me rattrape toujours.
Je sais que beaucoup de mères vivent cela en France aujourd’hui : des enfants qui coupent les ponts pour respirer, pour se construire loin du regard parental. Mais ce silence… ce silence est insupportable.
Alors je continue d’attendre. D’espérer un signe. Un mot. Un pardon peut-être.
Est-ce que j’aurais dû agir autrement ? Est-ce qu’on peut aimer trop fort au point d’étouffer ceux qu’on aime ? Et vous… avez-vous déjà vécu ce genre de rupture silencieuse avec un proche ?