Je refuse que ma mère fasse de ma vie un cauchemar : je peux affronter les épreuves seule, même si elle refuse de m’aider à cause de mon divorce
« Tu n’as qu’à assumer, Camille. Tu as choisi de divorcer, tu assumes. »
La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, froide et tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans ce silence glacial. Mon fils, Louis, dort dans la chambre d’à côté, inconscient de la tempête qui gronde dans le salon. Je viens de lui demander, une fois de plus, si elle pouvait garder Louis quelques soirs par semaine. Juste le temps que je reprenne mon souffle, que je trouve un nouveau travail après la séparation avec Julien. Mais elle reste droite, le menton haut, les bras croisés sur sa poitrine comme un rempart.
« Tu sais, moi, j’ai tout supporté pour que tu ne manques de rien. Ton père… » Elle s’arrête, les lèvres pincées. Je connais la suite par cœur. Les cris, les portes qui claquent, les silences lourds à table. Les soirs où elle cachait ses bleus sous des manches longues, où elle prétendait que tout allait bien. Elle a tout enduré, et elle en est fière. Elle me le répète sans cesse : « J’ai tenu bon, moi. »
Mais moi, je n’ai pas tenu. J’ai refusé de vivre dans la peur, de voir Louis grandir dans un foyer où l’amour se mesure à la capacité de souffrir. J’ai choisi de partir, de tout recommencer, même si ça voulait dire affronter le regard des autres, la solitude, et maintenant, le rejet de ma propre mère.
« Tu aurais pu faire un effort, Camille. On ne divorce pas pour une dispute. »
Je sens la colère monter, brûlante, acide. Ce n’était pas une dispute, maman. C’était des années de mépris, d’humiliations, de nuits blanches à pleurer dans la salle de bain pour que Louis ne m’entende pas. Mais elle ne veut pas comprendre. Pour elle, une femme doit tout supporter. C’est ça, être une mère. Se sacrifier, s’effacer, encaisser sans broncher.
Je me lève brusquement, la chaise grince sur le carrelage. « Je ne suis pas toi, maman. Je ne veux pas que Louis pense que la souffrance est normale. »
Elle détourne les yeux, mais je vois ses poings se serrer. « Tu crois que c’était facile pour moi ? Tu crois que j’ai aimé ça ? »
Un silence lourd s’installe. Je voudrais lui dire que je comprends, que je l’admire d’avoir survécu. Mais je ne peux pas cautionner ce modèle. Je ne veux pas que mon fils grandisse avec cette idée tordue de l’amour et du devoir.
Les jours passent, et chaque matin, je me bats. Je dépose Louis à la crèche, je cours aux entretiens d’embauche, je rentre épuisée, je prépare le dîner, je lis une histoire à Louis avant qu’il ne s’endorme. Parfois, je m’effondre sur le canapé, les larmes aux yeux, submergée par la fatigue et la solitude. Mais je me relève toujours. Parce que je n’ai pas le choix. Parce que je ne veux pas lui transmettre mes peurs.
Un soir, alors que je récupère Louis à la crèche, la directrice me prend à part. « Camille, vous tenez le coup ? Vous pouvez demander de l’aide, vous savez. » Je souris, gênée. Je n’ai personne vers qui me tourner. Mon père a refait sa vie loin d’ici, ma mère refuse de m’adresser la parole depuis notre dispute. Mes amis sont là, mais ils ont aussi leurs propres galères. Je me sens seule au monde.
Un dimanche, je croise ma mère au marché. Elle fait semblant de ne pas me voir, mais je m’approche. « Maman, comment tu vas ? » Elle me lance un regard dur. « Tu veux encore que je garde ton fils ? »
Je ravale mes larmes. « Non, je voulais juste te dire bonjour. »
Elle soupire, baisse les yeux. « Tu crois que c’est facile pour moi de te voir comme ça ? J’ai l’impression d’avoir échoué. »
Je reste sans voix. Pour la première fois, je vois la fragilité derrière son masque de dureté. Peut-être qu’elle a peur, elle aussi. Peur que je souffre, peur de me voir seule. Mais elle ne sait pas comment m’aider autrement qu’en me jugeant.
Les semaines passent, et je m’habitue à cette nouvelle vie. Je trouve un petit boulot dans une librairie du quartier. Ce n’est pas grand-chose, mais ça me permet de payer le loyer et d’offrir à Louis quelques moments de bonheur. On rit, on cuisine ensemble, on invente des histoires avant de dormir. Parfois, je croise le regard des autres mamans à la sortie de l’école, et je sens leur pitié ou leur incompréhension. Mais je m’en fiche. Je suis fière de moi, même si c’est dur.
Un soir, alors que je range les livres, ma mère entre dans la boutique. Elle hésite, regarde autour d’elle, puis s’approche timidement. « Je voulais te voir… »
Je la fixe, surprise. Elle prend une grande inspiration. « Je ne sais pas comment t’aider, Camille. Mais je veux essayer. »
Mon cœur se serre. Je sens les larmes monter, mais je souris. Peut-être qu’on peut apprendre, toutes les deux. Peut-être qu’on peut briser ce cercle de silence et de souffrance.
Ce soir, en regardant Louis dormir, je me demande : Est-ce que je fais bien ? Est-ce qu’on peut vraiment changer le destin de sa famille, ou sommes-nous condamnés à répéter les mêmes erreurs ? Qu’en pensez-vous ?