J’ai tout sacrifié pour ma fille… et aujourd’hui, elle me tourne le dos
« Tu ne comprends rien, maman ! Laisse-moi vivre ma vie ! »
La porte claque si fort que le miroir du couloir en vibre. Je reste figée, la main encore tendue vers elle, mon cœur battant à tout rompre. Camille, ma fille unique, celle pour qui j’aurais tout donné, vient de me jeter hors de sa vie en une phrase. Je sens mes jambes trembler, la colère et la tristesse se mêler dans ma gorge serrée.
Tout a commencé il y a deux ans, quand Camille est revenue vivre chez moi après sa séparation avec Julien. Je me souviens encore de son visage ravagé, ses yeux rougis par les larmes, sa voix brisée :
— Maman, je n’en peux plus… Il m’a trompée. Je ne veux plus jamais le voir.
Je l’ai prise dans mes bras, j’ai séché ses larmes, j’ai juré de la protéger. J’étais là à chaque audience du divorce, à chaque crise d’angoisse, à chaque insomnie. J’ai insulté Julien en silence, j’ai maudit sa lâcheté et ses mensonges. J’ai même repoussé mes propres amis pour ne pas la laisser seule une seconde.
Les mois ont passé. Camille a repris des couleurs, elle a retrouvé un travail, elle riait à nouveau. Je croyais que nous étions plus proches que jamais. Elle me confiait tout : ses doutes, ses peurs, ses espoirs. J’étais sa confidente, sa meilleure amie. Je me sentais utile, indispensable.
Et puis, il y a eu ce fameux dimanche. J’avais préparé un gratin dauphinois — son plat préféré — pour fêter sa promotion. Elle est arrivée en retard, les joues roses, le sourire gêné.
— Désolée maman… J’étais avec quelqu’un.
J’ai deviné avant même qu’elle prononce son nom. Julien. Il était revenu dans sa vie comme un fantôme qu’on croyait avoir exorcisé. J’ai senti la colère monter, mais j’ai gardé le silence. Je ne voulais pas gâcher la fête.
Les semaines suivantes ont été un supplice. Camille disparaissait de plus en plus souvent. Elle passait ses week-ends « chez une amie », rentrait tard, le regard fuyant. Un soir, je l’ai surprise au téléphone dans sa chambre :
— Oui mon amour… moi aussi je t’aime.
Je n’ai pas pu m’empêcher d’entrer dans la pièce.
— Tu recommences avec lui ? Après tout ce qu’il t’a fait ?
Elle a sursauté, furieuse :
— Ce n’est pas tes affaires ! C’est ma vie !
J’ai essayé de lui parler, de lui rappeler les nuits où elle pleurait dans mes bras, les promesses qu’elle s’était faites de ne plus jamais souffrir à cause de lui. Mais elle s’est refermée comme une huître.
Peu à peu, elle a cessé de me parler. Elle a déménagé chez Julien sans même me prévenir. Un soir, j’ai reçu un simple texto : « Je pars vivre avec Julien. Merci pour tout. »
Je suis restée seule dans cet appartement trop grand, entourée de souvenirs d’une complicité qui semblait indestructible. J’ai tenté de l’appeler, d’envoyer des messages… Silence radio. Quand elle daignait répondre, c’était sec, distant :
— Arrête de me juger.
— Tu ne comprends pas ce que je ressens.
— Laisse-moi tranquille.
J’ai fini par croiser Julien au marché du quartier. Il m’a saluée poliment, comme si rien ne s’était passé. J’ai eu envie de le gifler. Mais à quoi bon ? Camille avait choisi son camp.
Ma sœur Claire m’a dit :
— Tu devrais lâcher prise… Les enfants font leurs propres erreurs.
Mais comment accepter que ma fille me rejette alors que je n’ai fait que l’aimer et la soutenir ? Comment supporter cette solitude imposée par celle que j’ai élevée seule après la mort de son père ?
Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que je tournais en rond dans le salon vide, Camille a débarqué sans prévenir. Elle avait l’air fatiguée, les yeux cernés.
— Maman… Est-ce qu’on peut parler ?
Mon cœur s’est emballé d’espoir et d’angoisse à la fois.
— Bien sûr ma chérie… Tu veux du thé ?
Elle s’est assise en face de moi et a éclaté en sanglots :
— Je suis perdue… Je t’en veux parce que tu m’as trop protégée. J’avais besoin de faire mes propres choix… même s’ils sont mauvais.
Je l’ai prise dans mes bras comme quand elle était petite.
— Je t’aime Camille. Je serai toujours là pour toi… même si tu fais des erreurs.
Elle est repartie chez Julien ce soir-là. Depuis, nos relations restent tendues. Elle m’appelle parfois, mais la distance est là, palpable.
Je me demande chaque jour : ai-je trop aimé ma fille ? Ai-je été trop présente ? Ou bien est-ce simplement le destin des mères françaises d’être un jour rejetées par celles qu’elles ont le plus aimées ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous pour protéger vos enfants ? À quel moment faut-il les laisser voler de leurs propres ailes, même si cela signifie qu’ils s’éloignent à jamais ?