J’ai tout sacrifié pour ma fille… et aujourd’hui, c’est elle qui me tourne le dos

« Tu ne comprends rien, maman ! » hurle Camille en claquant la porte de la cuisine. La vaisselle tremble dans l’évier, mon cœur aussi. Je reste figée, la main crispée sur la table, le souffle court. Comment en sommes-nous arrivées là ? Il y a un an à peine, j’aurais juré que rien ni personne ne pourrait jamais nous séparer. Camille, ma fille unique, mon rayon de soleil, celle pour qui j’aurais donné ma vie sans hésiter.

Tout a commencé le jour où elle m’a annoncé qu’elle divorçait de Julien. Je me souviens encore de son visage ravagé, les yeux rougis par les larmes, la voix brisée : « Maman, je n’en peux plus… Il me fait vivre un enfer. » Sans réfléchir, j’ai pris sa main, je l’ai serrée fort. « Je suis là, ma chérie. Je te protégerai. » J’ai cru bien faire. J’ai cru qu’une mère devait toujours prendre le parti de son enfant.

Les semaines suivantes ont été un tourbillon d’émotions et de conflits. Julien venait frapper à notre porte, parfois tard le soir, suppliant de parler à Camille. Je me dressais devant lui comme une lionne : « Laisse-la tranquille ! Elle a assez souffert ! » Les voisins chuchotaient dans l’immeuble à Lyon, certains prenaient parti pour lui, d’autres pour nous. Mais moi, je n’écoutais que la détresse de ma fille.

J’ai accompagné Camille chez l’avocat, j’ai gardé mes petits-enfants quand elle n’en pouvait plus. J’ai même témoigné contre Julien lors de l’audience, racontant tout ce que Camille m’avait confié. Je croyais sincèrement l’aider à se reconstruire. Mais plus le divorce avançait, plus je sentais une distance s’installer entre nous. Camille devenait irritable, froide parfois. Elle passait des heures enfermée dans sa chambre, refusant de parler.

Un soir de novembre, alors que la pluie battait contre les vitres et que les enfants dormaient enfin, elle a éclaté : « Tu m’étouffes, maman ! Tu veux toujours tout contrôler ! Ce n’est pas TA vie, c’est la mienne ! » J’ai cru recevoir une gifle. Moi qui avais tout sacrifié pour elle…

Les mois ont passé. Le divorce a été prononcé. Julien a déménagé à Annecy et les enfants ont commencé à passer un week-end sur deux chez lui. Camille s’est remise à sortir avec ses amies, à rentrer tard. Un matin, elle m’a annoncé qu’elle avait rencontré quelqu’un : « Il s’appelle Thomas. Il est différent… » J’ai tenté de sourire mais au fond de moi, j’étais inquiète. Trop tôt, trop vite…

Petit à petit, Camille s’est éloignée. Elle ne me confiait plus rien. Pire : elle me reprochait tout ce que j’avais fait pour elle. « Si tu n’avais pas mis autant d’huile sur le feu avec Julien… Si tu m’avais laissée gérer seule… » Un soir, alors que je gardais les enfants pour la troisième fois cette semaine-là, elle est rentrée furieuse : « Tu as parlé à Julien derrière mon dos ?! » J’étais abasourdie. Oui, j’avais échangé quelques mots avec lui devant l’école – il voulait juste savoir comment allaient les petits…

La dispute a éclaté comme un orage d’été : violente et soudaine. « Tu trahis ma confiance ! Tu prends son parti maintenant ?! » J’ai tenté de me défendre : « Je voulais juste apaiser les choses… Pour les enfants… » Mais elle ne voulait rien entendre.

Depuis ce soir-là, rien n’a plus été comme avant. Camille m’évite. Elle ne répond plus à mes messages ou alors par des monosyllabes sèches. Les enfants me manquent terriblement ; je ne les vois plus qu’un week-end sur deux, quand leur mère accepte de me les confier.

Je me retrouve seule dans cet appartement trop grand, entourée des souvenirs d’une vie où tout tournait autour d’elle. Parfois je relis nos anciens messages – des mots tendres, des photos de vacances en Bretagne ou à la montagne – et je pleure en silence.

Hier encore, j’ai croisé Julien au marché. Il m’a saluée poliment mais j’ai senti dans son regard toute la tristesse du passé. Nous avons parlé quelques minutes des enfants – ils grandissent si vite… – puis il est parti rejoindre sa nouvelle compagne.

Je me demande chaque jour où j’ai failli. Ai-je trop aimé ? Ai-je mal aimé ? Aurais-je dû rester en retrait et laisser Camille affronter seule ses démons ? Peut-on aimer trop fort au point d’étouffer ceux qu’on veut protéger ?

Ce soir, je regarde par la fenêtre les lumières de la ville qui s’allument une à une et je me sens terriblement seule. J’aimerais tant retrouver ma fille d’avant… Mais est-ce encore possible ?

Ai-je vraiment fait ce qu’il fallait ? Ou bien ai-je perdu ma fille en croyant la sauver ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?