J’ai toujours sauvé notre mariage… Jusqu’au jour où j’ai cessé d’y croire, et là, il a changé

« Tu rentres encore tard, François ? » Ma voix tremble à peine, mais je sais qu’il entend la lassitude. Il ne répond pas tout de suite. Il pose ses clés sur la commode, retire sa veste sans me regarder. Je sens l’odeur du métro, du tabac froid, de la fatigue. Je suis assise à la table de la cuisine, les mains serrées autour d’une tasse de thé tiède, le regard fixé sur les miettes du dîner que j’ai préparé pour deux, mais mangé seule.

Depuis des années, c’est moi qui recolle les morceaux. C’est moi qui propose les week-ends à la campagne pour « nous retrouver », moi qui organise les anniversaires des enfants, qui gère les factures, les rendez-vous chez le médecin, les excuses auprès des amis quand il oublie encore une invitation. C’est moi qui envoie les messages pour dire « on arrive », alors qu’il n’a même pas mis ses chaussures. C’est moi qui m’excuse pour ses silences, ses absences, ses colères rentrées.

Je me souviens du début. François était drôle, passionné, il me faisait rire aux éclats dans les rues de Lyon. On rêvait d’une maison avec un jardin, de deux enfants — on en a eu trois. Mais quelque chose s’est fissuré après la naissance de Camille. Les nuits blanches, le stress du travail, les disputes sur des détails idiots : qui sort les poubelles, qui a oublié d’acheter du lait. Petit à petit, on s’est éloignés. Lui dans son boulot d’ingénieur, moi dans mon poste d’infirmière à l’hôpital Édouard-Herriot.

Un soir, il y a trois ans, j’ai surpris un message sur son téléphone. « Tu me manques », signé « Sophie ». J’ai confronté François. Il a nié toute liaison, juré que c’était une collègue en détresse. J’ai voulu le croire. J’ai voulu croire que tout pouvait s’arranger si je faisais encore un effort.

Mais l’effort est devenu une habitude. J’ai arrêté de compter les fois où j’ai pleuré dans la salle de bains, où j’ai avalé ma colère pour ne pas faire de vagues devant les enfants. J’ai accepté qu’il ne m’embrasse plus le matin, qu’il oublie mon anniversaire. J’ai accepté qu’il ne me regarde plus vraiment.

Un matin de novembre, alors que la pluie battait contre les vitres et que je préparais les tartines pour Léa et Paul, j’ai senti une fatigue immense m’envahir. Pas celle qu’on soigne avec une nuit de sommeil ou un week-end à la mer. Une fatigue de l’âme. J’ai regardé François s’habiller en silence et j’ai compris que je n’avais plus envie de me battre seule.

Ce soir-là, je n’ai pas proposé de regarder un film ensemble. Je n’ai pas demandé comment s’était passée sa journée. Je n’ai pas tenté d’alléger l’atmosphère avec une blague ou un sourire forcé. J’ai juste vécu ma soirée comme si j’étais seule dans cet appartement.

Les jours suivants, j’ai continué : plus d’efforts pour combler le vide entre nous. Je me suis concentrée sur moi-même, sur mes enfants, sur mes amies que j’avais négligées depuis trop longtemps. J’ai repris le yoga avec Claire le jeudi soir. J’ai accepté un café avec mon collègue Thomas après le travail — juste pour parler, pour rire un peu.

C’est là que tout a changé.

Un soir, alors que je rangeais la vaisselle, François est venu vers moi. Il a posé sa main sur mon épaule — un geste oublié depuis des années.

— Est-ce que ça va ?

J’ai haussé les épaules sans répondre.

— Tu es distante ces derniers temps…

J’ai eu envie de rire : il remarquait enfin ce que je ressentais depuis si longtemps ?

— Je suis fatiguée, François. Fatiguée de tout faire toute seule.

Il est resté silencieux longtemps. Puis il a murmuré :

— Je crois que… je t’ai perdue.

J’aurais dû ressentir une victoire amère. Mais c’était juste du vide.

À partir de ce jour-là, il a commencé à changer. Il rentrait plus tôt du travail. Il proposait d’aller chercher les enfants à l’école. Il m’a offert des fleurs — des pivoines comme au début — et m’a invitée au restaurant pour notre anniversaire de mariage.

Mais je n’arrivais pas à me réjouir. Je me demandais : pourquoi maintenant ? Pourquoi fallait-il que je cesse d’y croire pour qu’il se réveille ? Est-ce qu’on peut vraiment reconstruire quelque chose qui s’est effrité pendant tant d’années ?

Un dimanche matin, alors que nous promenions les enfants au parc de la Tête d’Or, il m’a pris la main timidement.

— Je veux qu’on recommence tout à zéro…

J’ai senti mes yeux se remplir de larmes.

— Et si c’était trop tard ?

Il a serré ma main plus fort.

— Je t’aime encore, Élodie.

Je n’ai rien répondu. J’avais envie d’y croire mais une partie de moi restait sur ses gardes.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas si on peut vraiment réparer ce qui a été brisé si longtemps. Est-ce que l’amour peut renaître quand on a tant souffert ? Est-ce que vous y croyez, vous ?