J’ai fui ma mère toxique… pour tomber dans un mariage sans amour. Est-il trop tard pour moi ?

« Tu ne vaux rien sans moi, Camille. » La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, même des années après ce soir où j’ai claqué la porte de notre appartement à Lyon. J’avais vingt-trois ans, le cœur battant, les mains tremblantes, et une valise à la main. Je croyais que la liberté m’attendait dehors, que l’air serait plus léger loin de ses reproches et de ses regards qui me disséquaient.

Mais la liberté, ce n’est pas ce que j’ai trouvé. À peine avais-je quitté l’enfer familial que je me suis jetée dans les bras d’Antoine. Il était doux, attentionné, il m’a proposé un appartement à Villeurbanne et des promesses d’avenir. Je croyais à l’amour, ou du moins j’avais besoin d’y croire. Peut-être que je voulais juste qu’on m’aime, qu’on me protège, qu’on me dise enfin que j’étais quelqu’un de bien.

Les premiers mois étaient paisibles, presque trop. Antoine travaillait beaucoup, moi je cherchais encore ma voie, enchaînant les petits boulots : serveuse dans un café du 6ème, vendeuse dans une boutique de vêtements près de la Part-Dieu. Ma mère m’appelait parfois, juste pour me rappeler que je n’étais rien sans elle. Je raccrochais en pleurant, Antoine me prenait dans ses bras, mais il ne comprenait pas vraiment. « Tu devrais tourner la page, Camille. » Facile à dire.

Un an plus tard, nous nous sommes mariés. C’était un mariage simple, à la mairie du 3ème arrondissement. Ma mère n’était pas là. Elle m’a envoyé un SMS : « Tu fais une erreur. » Je n’ai pas répondu. Antoine souriait sur les photos, moi aussi, mais mon sourire sonnait faux. Je le savais déjà, au fond de moi : je n’étais pas amoureuse. Mais j’avais peur d’être seule.

Les années ont passé. Antoine et moi sommes devenus des colocataires plus que des amants. Il rentrait tard, fatigué, et moi je m’enfermais dans la routine : métro, boulot, dodo. Les rares fois où nous dînions ensemble, le silence pesait plus lourd que les mots. Un soir, il a posé sa fourchette et m’a regardée droit dans les yeux :

— Tu es malheureuse, Camille ?

J’ai baissé les yeux. Je n’ai pas su répondre. Comment lui expliquer que je me sentais prisonnière, encore une fois ? Que j’avais fui une cage pour en trouver une autre ?

Ma mère a recommencé à m’appeler plus souvent. Elle voulait savoir si j’étais heureuse, si Antoine me traitait bien. Mais derrière ses questions, il y avait toujours ce venin : « Tu vois, tu n’es pas capable d’être heureuse sans moi. »

Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de Lyon, j’ai craqué. J’ai appelé mon amie Sophie, la seule qui connaissait vraiment mon histoire.

— J’en peux plus, Sophie. J’étouffe…

— Camille, tu as le droit d’être heureuse. Tu as le droit de penser à toi.

Ses mots m’ont bouleversée. Pour la première fois, j’ai envisagé la possibilité de partir. Mais partir où ? Pour faire quoi ? J’avais peur du vide, peur de décevoir Antoine, peur de donner raison à ma mère.

Les semaines suivantes ont été un calvaire. Antoine sentait que quelque chose clochait. Il essayait d’être plus présent, mais c’était trop tard. Un soir, il m’a prise par la main :

— Dis-moi la vérité, Camille. Tu veux rester avec moi ?

J’ai senti les larmes monter.

— Je ne sais pas… Je crois que je ne t’ai jamais vraiment aimé. Je suis désolée.

Il n’a rien dit. Il s’est levé, a pris son manteau et est sorti. Je suis restée seule dans le salon, le cœur en miettes.

Les jours suivants ont été flous. Antoine dormait sur le canapé. On ne se parlait presque plus. J’ai commencé à chercher un appartement sur Le Bon Coin, à regarder les annonces pour des studios à Croix-Rousse ou à Monplaisir. J’avais peur, mais aussi un étrange sentiment de soulagement.

Ma mère a fini par l’apprendre. Elle m’a appelée en hurlant :

— Tu es incapable de garder un homme ! Tu vas finir seule comme moi !

J’ai raccroché. Pour la première fois, ses mots ne m’ont pas atteinte. J’ai compris que je devais vivre pour moi, pas pour elle, ni pour Antoine.

J’ai trouvé un petit studio sous les toits, avec vue sur Fourvière. Le premier soir, assise sur le parquet froid, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Mais c’était des larmes de libération.

Aujourd’hui, je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Je suis seule, oui, mais libre. J’apprends à m’aimer, doucement. Parfois je doute : ai-je fait le bon choix ? Est-ce qu’on peut vraiment se reconstruire après tant d’années à vivre pour les autres ?

Et vous, pensez-vous qu’on a tous droit au bonheur, même si cela veut dire tout recommencer à zéro ?