Fissures dans le Bonheur : Mon Combat entre l’Amour et le Renoncement

« Tu ne m’écoutes jamais, Julien ! »

La voix de Camille résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains, les jointures blanches, tentant de retenir une réponse cinglante. Il est 7h30, les enfants dorment encore, et déjà l’air est saturé de tension. Je me demande comment nous en sommes arrivés là.

Pourtant, il y a dix ans, tout semblait si simple. Camille et moi, on s’est rencontrés à la fac de droit à Lyon. Elle avait ce rire qui éclatait dans l’amphi, cette façon de me regarder comme si j’étais le seul au monde. On s’est aimés vite, fort, sans se poser de questions. On a emménagé ensemble dans un petit appartement du Vieux Lyon, puis on s’est mariés à la mairie du 2ème arrondissement, entourés de nos familles, nos amis, nos rêves.

Mais la vie, ce n’est pas un conte de fées. Après la naissance de nos deux enfants, Léa et Arthur, la routine s’est installée. Les nuits blanches, les couches, les factures à payer, les disputes sur qui doit aller chercher les petits à l’école. Camille a repris son travail d’avocate, moi le mien dans une PME d’informatique. On s’est croisés plus qu’on ne s’est retrouvés.

« Tu ne comprends jamais ce que je ressens ! »

Je relève la tête. Camille a les yeux brillants, la mâchoire crispée. Je voudrais lui dire que moi aussi, je souffre. Que je me sens seul, perdu dans ce quotidien qui nous écrase. Mais les mots restent coincés dans ma gorge. J’ai peur de blesser, peur d’envenimer les choses.

Le soir, après avoir couché les enfants, je m’effondre sur le canapé. Camille est déjà dans la chambre, plongée dans un roman ou scotchée à son téléphone. On ne se parle presque plus. Parfois, j’ai envie de hurler. Où est passée la femme que j’aimais ? Où suis-je passé, moi ?

Un samedi matin, alors que je prépare des crêpes pour Léa et Arthur, Camille s’approche. Elle hésite, puis lâche :

— Julien, tu crois qu’on est encore heureux ?

Je reste figé, la spatule en l’air. Les enfants rient dans le salon. Je sens mon cœur se serrer.

— Je ne sais pas…

On s’assoit à la table de la cuisine. Pour la première fois depuis des mois, on parle vraiment. Camille avoue qu’elle se sent étouffée, qu’elle a l’impression de ne plus exister en dehors du rôle de mère et d’épouse. Je lui confie ma solitude, mon sentiment d’échec. On pleure un peu. On se promet de faire des efforts.

Mais les semaines passent et rien ne change vraiment. On tente une thérapie de couple chez une psychologue du quartier Croix-Rousse. Les séances sont éprouvantes. Camille pleure souvent ; moi, je me referme. La psychologue nous demande :

— Qu’est-ce qui vous retient ensemble ?

Je n’ai pas de réponse claire. L’habitude ? Les enfants ? La peur de l’inconnu ?

Un soir d’automne, je rentre tard du travail. La maison est silencieuse. Camille est assise sur le lit, une valise ouverte à ses pieds.

— Je vais chez ma sœur quelques jours. J’ai besoin de réfléchir.

Je sens le sol se dérober sous mes pieds. Les enfants dorment chez leurs grands-parents ce week-end-là. Je reste seul dans notre appartement trop grand, entouré de souvenirs qui me brûlent la peau.

Les jours suivants sont un supplice. Je me surprends à pleurer en écoutant une chanson à la radio, à fixer la photo de notre mariage sur la commode du salon. Je repense à nos vacances en Bretagne, aux promenades sur la plage avec Léa sur mes épaules et Arthur qui courait devant nous. Était-ce déjà fini ?

Camille revient au bout d’une semaine. Elle a les traits tirés, le regard fatigué.

— J’ai réfléchi, Julien. Je crois qu’on doit se séparer… pour ne pas se détruire complètement.

Je voudrais protester, supplier, mais au fond de moi je sais qu’elle a raison. On s’est perdus en chemin. On s’est oubliés.

Les semaines suivantes sont un tourbillon d’émotions : tristesse, colère, soulagement parfois. On annonce la nouvelle aux enfants. Léa pleure, Arthur se renferme. Je culpabilise. Ma mère me répète que « dans notre famille, on ne divorce pas ». Mon père me regarde sans rien dire, mais je sens sa déception.

Je déménage dans un petit deux-pièces à Villeurbanne. Les week-ends sans les enfants sont un vide immense. Je me surprends à errer dans les rues de Lyon, à m’arrêter devant notre ancienne boulangerie, à acheter des croissants que je mange seul sur un banc.

Un soir, mon ami François m’invite à dîner chez lui. Sa femme, Sophie, me lance un regard compatissant.

— Tu sais, Julien, tu n’es pas le seul à traverser ça. Beaucoup de couples finissent par se perdre…

Je hoche la tête. Mais ça ne console pas vraiment.

Petit à petit, j’apprends à vivre autrement. Je découvre le silence, la solitude, mais aussi une forme de liberté. Je me remets à courir sur les quais du Rhône, à lire des romans que j’avais oubliés. Je retrouve des amis perdus de vue.

Camille et moi restons en bons termes pour les enfants. Parfois, on partage un café en parlant d’eux. Il y a encore des blessures, mais moins de colère.

Aujourd’hui, un an après la séparation, je me demande si j’ai fait le bon choix. Était-ce lâcheté ou courage ? Peut-on vraiment se reconstruire après avoir tout perdu ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Faut-il rester par peur ou partir par amour pour soi-même ?