Entre mon fils et ma belle-fille : Le déjeuner qui a bouleversé ma vie
« Maman, il faut qu’on te parle. »
La voix de Julien tremblait à peine, mais je sentais déjà la tempête. J’étais debout devant le four, surveillant le gratin dauphinois qui dorait lentement. Camille, assise à la table, triturait nerveusement la serviette en papier entre ses doigts fins. Le parfum du poulet rôti flottait dans l’air, mais tout à coup, il me sembla fade, presque écœurant.
Je me suis retournée, le cœur battant. « Qu’est-ce qu’il y a ? »
Julien a échangé un regard avec Camille. Elle a baissé les yeux. Il a pris une grande inspiration : « On va divorcer. »
Le mot est tombé comme une pierre dans un puits. J’ai senti mes jambes faiblir. J’ai posé le plat sur la table, maladroitement, manquant de le faire tomber. « Mais… pourquoi ? »
Camille a relevé la tête, les yeux brillants de larmes. « On n’y arrive plus, Françoise. On se dispute tout le temps. On ne veut pas se détruire davantage. »
Julien s’est assis à côté d’elle, posant sa main sur la sienne. Un geste étrange, presque tendre, mais chargé d’adieu. « On voulait t’en parler ensemble. Mais… il y a autre chose. »
Je n’osais plus respirer.
« On aimerait que tu choisisses… »
Le silence s’est abattu dans la pièce. Je regardais mon fils, mon unique enfant, celui pour qui j’avais tout sacrifié après la mort de son père. Et Camille, que j’avais accueillie comme une fille, malgré nos différences – elle, la Parisienne raffinée, moi la provinciale attachée à mes traditions.
« Choisir ? » Ma voix s’est brisée.
Camille a essuyé une larme. « On ne veut pas te mettre dans une situation impossible… Mais on ne pourra pas continuer à se voir tous ensemble. Il faudra… prendre parti. »
J’ai senti la colère monter en moi. « Vous me demandez de choisir entre vous deux ? Mais vous êtes ma famille tous les deux ! »
Julien a détourné le regard. « Je sais que c’est injuste, maman… Mais je ne peux plus supporter de croiser Camille à chaque repas de famille. »
Le gratin refroidissait sur la table. Le poulet aussi. J’ai pensé à tous ces dimanches passés ensemble, aux Noëls où Camille décorait le sapin avec moi, à la naissance de leur petite fille, Lucie – ma petite-fille adorée.
« Et Lucie ? Vous y avez pensé ? »
Camille a éclaté en sanglots. « C’est pour elle aussi qu’on fait ça… On ne veut pas qu’elle grandisse dans les cris et les reproches. »
Julien s’est levé brusquement et a traversé la pièce pour regarder par la fenêtre, dos tourné à nous.
Je me suis assise lourdement sur une chaise. Tout tournait dans ma tête : les souvenirs heureux, les disputes récentes que j’avais tenté d’ignorer, les silences lourds lors des derniers repas.
« Je ne peux pas choisir », ai-je murmuré.
Camille s’est approchée de moi et m’a pris la main : « Je comprends… Mais il faudra bien que tu décides comment tu veux organiser ta vie maintenant. »
Julien s’est retourné : « Je ne veux pas te perdre, maman… Mais je ne veux plus vivre dans le passé non plus. »
J’ai regardé mon fils – mon petit garçon devenu homme, brisé par un mariage qui s’effondrait – et cette femme que j’avais appris à aimer comme ma propre fille.
Le repas s’est terminé dans un silence glacial. Personne n’a touché au dessert que j’avais préparé avec tant d’amour : une tarte aux pommes comme celle que faisait ma mère.
Après leur départ, j’ai erré dans la maison vide. Les rires de Lucie résonnaient encore dans le couloir. J’ai ramassé une petite chaussette oubliée sous le canapé et j’ai fondu en larmes.
Les jours suivants ont été un supplice. Julien m’a appelée tous les soirs pour prendre des nouvelles ; Camille m’a envoyé des messages doux mais distants. Chacun attendait que je fasse un pas vers lui – ou vers elle.
À l’épicerie du quartier, Madame Lefèvre m’a demandé : « Alors, comment va ta belle-fille ? On ne la voit plus… » J’ai bredouillé une excuse.
À l’école de Lucie, les autres mamans me lançaient des regards compatissants ou curieux.
Je me sentais écartelée entre deux mondes : celui de mon fils et celui de ma belle-fille – et au milieu, Lucie, innocente victime de nos maladresses d’adultes.
Un soir, j’ai invité Camille à prendre le thé chez moi. Elle est venue seule, les yeux cernés mais digne.
« Françoise… Je ne veux pas te voler Julien ni t’imposer quoi que ce soit. Mais tu comptes beaucoup pour moi… et pour Lucie aussi. »
Je lui ai serré la main : « Tu seras toujours la bienvenue ici. Peu importe ce qui se passe entre vous deux. »
Quelques jours plus tard, Julien est passé à l’improviste avec Lucie. Il avait l’air fatigué mais soulagé de me voir sourire à sa fille.
« Maman… Je suis désolé pour tout ça. Je ne voulais pas te faire de mal », a-t-il murmuré en me prenant dans ses bras.
J’ai compris alors que je n’avais pas à choisir – ou plutôt que mon choix serait celui du cœur : rester présente pour chacun d’eux, sans juger ni prendre parti.
Mais chaque dimanche reste difficile : comment partager mon amour sans blesser personne ? Comment être juste quand tout le monde attend quelque chose de moi ?
Est-ce qu’une mère peut vraiment être équitable quand sa famille se déchire ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?