Entre deux femmes : Mon mari, sa mère et moi – Quand la loyauté déchire le cœur

« Tu rentres tard encore ce soir ? » Ma voix tremble à peine, mais je sens déjà la tension dans l’air de notre petit appartement lyonnais. Pierre évite mon regard, attrape ses clés sur la commode. « Je dois finir un dossier au bureau, tu sais comment c’est en ce moment… »

Je le regarde s’éloigner, le cœur serré. Je sais qu’il ment. Depuis quelques semaines, il disparaît régulièrement sous prétexte de travail, mais je sens l’odeur du pot-au-feu sur ses vêtements, la même que celle que prépare sa mère, Françoise. Ce soir-là, je décide de le suivre. Je me faufile dans les rues humides de la Croix-Rousse, mon manteau serré autour de moi comme une armure contre le froid et la peur.

Arrivée devant l’immeuble de Françoise, je le vois : Pierre sonne, elle ouvre, il entre. Je reste là, glacée, incapable d’avancer ou de reculer. Pourquoi ce secret ? Pourquoi cette trahison ?

Le lendemain matin, il rentre à pas feutrés. Je fais semblant de dormir, mais mes larmes mouillent déjà l’oreiller. Quand il s’approche pour m’embrasser, je me détourne. « Tu sens le céleri », je murmure. Il sursaute. « Tu es allée chez ta mère ? » Silence. Il s’assoit au bord du lit, la tête basse.

« Écoute, Claire… Ce n’est pas contre toi. Maman ne va pas très bien en ce moment, elle a besoin de moi… »

Je me redresse d’un bond. « Et moi ? Tu crois que je n’ai pas besoin de toi ? Tu crois que ça ne me fait rien que tu me mentes ? »

Il soupire, passe une main dans ses cheveux bruns. « Je ne voulais pas te blesser… »

Mais c’est trop tard. Depuis ce jour-là, une ombre s’est installée entre nous. Je me surprends à jalouser Françoise, à lui en vouloir d’avoir gardé son fils si près d’elle. Chaque fois que Pierre reçoit un message d’elle, je sens une boule se former dans ma gorge.

Un dimanche midi, alors que je prépare un gratin dauphinois pour nous deux, Pierre annonce : « Maman nous invite à déjeuner dimanche prochain. »

Je serre les dents. « Encore ? On ne peut jamais être tranquilles tous les deux ? »

Il hausse les épaules : « Elle est seule depuis la mort de papa… »

Je lance la cuillère dans l’évier. « Et moi alors ? Tu crois que je ne me sens pas seule parfois ? »

Il me regarde enfin dans les yeux. « Claire… Je t’aime. Mais c’est ma mère. »

Cette phrase résonne comme un couperet. Je me sens invisible, reléguée au second plan. Le soir même, j’appelle ma sœur, Élodie.

« Tu dois lui parler franchement », dit-elle. « Mais n’oublie pas que perdre sa mère, c’est une peur qu’on porte tous en nous… »

Je réfléchis longtemps à ses mots. Peut-être suis-je trop possessive ? Peut-être ai-je peur de perdre Pierre comme il a peur de perdre sa mère ?

Mais la situation empire. Françoise m’appelle pour me demander si Pierre peut passer l’aider à monter une armoire. Je dis oui, mais j’entends dans sa voix une pointe de satisfaction, comme si elle avait gagné une bataille silencieuse.

Le soir venu, Pierre rentre tard encore une fois. Cette fois-ci, je l’attends dans le salon.

« Pierre, il faut qu’on parle », dis-je d’une voix ferme.

Il s’assoit en face de moi. « Je t’écoute. »

« Je me sens trahie chaque fois que tu me mens pour aller chez ta mère. J’ai l’impression de ne pas compter pour toi… »

Il baisse les yeux. « Je suis désolé… Mais maman est fragile depuis quelque temps… Elle fait des crises d’angoisse… »

Je fonds en larmes. « Et moi alors ? Tu ne vois pas que je souffre aussi ? Que j’ai besoin de toi ? »

Il s’approche pour me prendre dans ses bras mais je le repousse.

« Il faut qu’on trouve un équilibre », dis-je entre deux sanglots. « Je ne veux pas choisir entre toi et ta mère… Mais je veux que tu sois honnête avec moi. Que tu arrêtes de mentir. »

Il promet d’essayer. Mais rien ne change vraiment.

Quelques semaines plus tard, lors d’un dîner chez Françoise, elle lance à table : « Pierre a toujours été mon petit garçon adoré… Il sait que je peux compter sur lui pour tout ! »

Je sens le rouge me monter aux joues. Pierre me jette un regard gêné mais ne dit rien.

Sur le chemin du retour, je craque : « Tu ne vois pas qu’elle te manipule ? Qu’elle ne veut pas te partager ? »

Il s’arrête au milieu du trottoir : « C’est ma mère ! Tu veux que je fasse quoi ? Que je la laisse tomber ? »

Je pleure en silence tout le trajet jusqu’à la maison.

Les jours passent et la distance grandit entre nous. Je fais des efforts pour comprendre Pierre, mais je me sens toujours exclue de cette relation fusionnelle qu’il entretient avec sa mère.

Un soir d’hiver, alors que la neige tombe sur les toits de Lyon, Pierre rentre plus tôt que d’habitude.

« Claire… J’ai réfléchi », dit-il doucement en posant sa main sur la mienne. « Je t’aime et je veux qu’on soit heureux tous les deux… Mais j’ai peur de perdre maman… J’ai peur qu’elle parte comme papa… »

Je prends une grande inspiration.

« Moi aussi j’ai peur… Peur de te perdre toi… Peur que notre couple ne survive pas à tout ça… »

Nous restons là longtemps sans parler, main dans la main.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas où est la limite entre l’amour filial et le respect du couple. Où finit la loyauté envers sa mère et où commence celle envers sa femme ? Est-ce à moi d’accepter cette place ou à lui de poser des limites ?

Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour pour votre famille ou votre conjoint ?